Figures remarquables : André Debray, le banquier au service du financement de la Résistance

Mise à jour le : 28 Oct 2024
Archives historiques BNP Paribas - composition réalisée avec le portrait d'André Debray issu du site du Sénat, la signature Debray issue des Archives historiques BNP Paribas et la signature Bossuet issue des Archives nationales, le timbre créé en 1974 par le dessinateur Claude Haley reprenant la médaille de la Résistance et les photos personnelles de la Croix de chevalier de la Légion d’honneur et de la Croix de Guerre 1939-1945

Archives historiques BNP Paribas

L’Histoire de notre banque s’est construite à travers les actions de personnalités plongées au cœur d’une réalité économique, sociale et financière internationale. André Debray en est l’une des figures majeures. Stagiaire à la Banque de Paris et des Pays-Bas en 1927, il y devient directeur à partir de 1944. Une évolution remarquable qui révèle un parcours exceptionnel.

Car, sous le pseudonyme de « Bossuet », il dirige aussi le Comité financier de la Résistance dont il organise les réunions dans son bureau du 3 rue d’Antin, dans un Paris occupé. Pour ses actions, il sera décoré de la Croix de chevalier de la Légion d’honneur, de la Médaille de la Résistance française avec rosette et de la Croix de Guerre 1939-1945 avec palme.
A la Libération, il poursuit sa carrière de directeur mais il est aussi sénateur de la IVe République, représentant du Mouvement républicain populaire. Il œuvre pour que Paribas ne soit pas nationalisée et puisse ainsi conserver sa vocation commerciale internationale.

De l’ACJF à la Résistance

Fils d’un employé de commerce, André Debray nait à Paris en 1905 dans une famille nombreuse de neuf enfants (il en aura lui-même sept). Après des études secondaires au collège Sainte-Croix de Neuilly, André Debray obtient sa licence en droit à la faculté de Paris. En mai 1927, il entre comme stagiaire à la Banque de Paris et des Pays-Bas (future Paribas).

Il est également très actif dans les milieux associatifs catholiques d’avant-guerre, notamment au sein de l’Association catholique de la jeunesse française (ACJF). Cette association regroupe cinq mouvements de jeunesse : Jeunesse ouvrière chrétienne, Jeunesse étudiante chrétienne, Jeunesse maritime chrétienne, Jeunesse agricole catholique et Jeunesse Indépendante Chrétienne. André Debray est le président de l’ACJF entre 1933 et 1935.

Il y rencontre Georges Bidault, André Colin et François de Menthon qu’il retrouve ensuite dans la Résistance et après la guerre au sein du Mouvement républicain populaire (MRP), parti politique français de tendance démocrate-chrétien et centriste.

Après la débâcle de 1940, il est membre d’un groupe de résistants fondé en Seine-et-Marne avec ses anciens camarades de régiment et des amis de l’ACJF. À partir de 1941, grâce à sa position au sein de la banque, il fournit des renseignements économiques et industriels à Londres. En 1998, le Bulletin n° 78 de l’Amicale du MRP s’appuie sur le dossier officiel d’André Debray pour nous apporter quelques exemples de ses actions : il fournit notamment une note détaillée sur la fabrication des locomotives en France et en Allemagne (fabrication à la chaîne de Cassel). Ultérieurement, il donne des indications précises sur l’organisation défensive de la côte normande et sur les installations de rampes de lancement de V1.

Il est aussi en contact avec Georges Bidault, entré au Conseil national de la Résistance (CNR) en mai 1943.
C’est ainsi qu’André Debray participe à la recherche d’une solution pour financer la Résistance car les parachutages de billets se révèlent insuffisants !

Il rejoint le Conseil national de la Résistance un peu plus tard en tant que commissaire aux finances sous le pseudonyme de Jouarre.

L’expertise du banquier Debray au service de la Résistance

André Debray intègre le cercle des cadres de la direction de la banque en 1938. Les procès-verbaux des Assemblées générales de Paribas nous permettent de retracer l’évolution de sa carrière. En effet, le procès-verbal du 14 avril 1942 nous informe de sa nomination en tant que sous-directeur de la banque, en même temps que Jacques Allier et Jean Cabet, autres personnages illustres de la banque.
Dès 1942, il devient directeur-adjoint : une rapide promotion que justifient son mérite et les services qu’il rend nous précise le procès-verbal de l’Assemblée générale ordinaire du 8 avril 1943.
C’est donc en 1944 qu’il est nommé directeur : là encore, le procès-verbal de l’AGO du 30 mai 1945 mentionne que la promotion de M. DEBRAY est amplement justifiée par les brillantes qualités dont il a fait preuve dans les divers postes qui lui ont été successivement confiés.
Considérations que la suite des événements confirme.

Quand André Debray dirige le Comité financier de la Résistance

Un Comité financier (COFI) voit le jour en février 1944, siégeant à la Banque de Paris et des Pays-Bas. Il fallait avoir le droit d’emprunter au nom du Gouvernement de la France Libre. Pour exercer ce droit, il convenait, en outre, de constituer un organisme capable d’inspirer confiance aux bailleurs de fonds et disposant de relations assez variées pour toucher tous les milieux financiers susceptibles de souscrire. C’est pour assurer ces tâches que le COFI a été créé explique François Bloch-Lainé, haut fonctionnaire et grande figure de la Résistance, dans la Revue des Deux Mondes en 1950.
André Debray est le président du COFI et utilise son bureau du siège de Paribas pour tenir les réunions clandestines. Le comité comprend René Courtin, Michel Debré, Jacques Chaban-Delmas et Jacques Soulas. Le petit groupe a l’idée d’émettre un emprunt pour financer la Résistance.

Le résistant et journaliste Jean Dannenmuler témoigne également de cette époque dans le Bulletin n°77 de l’Amicale du MRP : Un emprunt fut sans doute l’une des aventures les plus extraordinaires de la Résistance parce que s’il est difficile de monter sans péril sérieux une opération clandestine en mêlant plus de trois personnes dans la confiance, il fallait élargir le cercle dans des proportions considérables pour lancer cet emprunt.
Et de préciser : Georges Bidault confia la direction de cette opération aventureuse à l’un de ses amis intimes, André Debray, ancien président de l’Association catholique de la jeunesse française. C’était un homme aussi tranquille qu’audacieux, toujours souriant, toujours aimable. Il donnait l’impression d’une grande rigueur, d’une bonté sans bornes, d’une détermination inflexible. Il forçait la confiance.
C’est aussi Georges Bidault qui donne à André Debray le pseudonyme de « Bossuet » (en référence à son frère évêque de Meaux). Détail d’importance quand on sait que « Bossuet » sera le nom de la signature des opérations bancaires qui financeront la Résistance.

« L’aigle a attrapé 15 petits lapins »

C’est par l’intermédiaire d’un compte créé auprès de la banque d’Alger en 1940 que les opérations sont possibles. François Bloch-Lainé précise – toujours dans le Bulletin n° 77 : On demandait à Alger, par radio, de faire ouvrir par le Trésor un crédit en compte à la Banque de l’Algérie au profit de « Bossuet » […] Sur ce compte, Bossuet tirait des chèques ou ordonnait des virements.
Le message d’alerte passé à la radio de Londres est : l’aigle a attrapé 15 petits lapins, car ce premier emprunt représentait alors 15 millions de Francs.

Henri Michel, historien et spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, complète dans son ouvrage Une histoire de la Résistance en France (1940-1944) aux pages 95 et 96 : le mouvement des fonds se faisait à l’aide de chèques, dont le talon restait […] aux mains de André Debray dit Bossuet. Le déposant recevait la partie centrale signée Bossuet, avec indication des noms et sommes ; à la banque d’Alger était envoyée l’autre extrémité du chèque. Aucune adresse ne figurait sur le titre, les prénoms seuls et la date de naissance servaient à contrôler l’identité. Par mesure supplémentaire de sécurité, à la place destinée au numéro était inscrit un chiffre entre parenthèses, à côté du chiffre apparent qui permettait l’authentification du titre et constituait une clé de contrôle secret.
Les chèques étaient au porteur, donc simples à encaisser.

La signature « Bossuet » avait pris une telle valeur qu’elle se négociait jusque sur le marché de la Bourse de Paris et que les cours de l’emprunt dit Bossuet s’étaient envolés. Car, si dans un premier temps la dangerosité de l’opération avait limité le nombre de souscripteurs, les clients devenaient de plus en plus nombreux avec l’avancée des alliés sur le territoire français.

À la Libération, tous les prêteurs retrouvèrent leurs fonds. André Debray (alias Bossuet, Bourdaloue, Fénelon comme le souligne Jeanne Patrimonio dans son interview d’André Debray du 13 juin 1946 conservée aux Archives Nationales), avait tenu une comptabilité rigoureuse de ces chèques. Au total, avec les bons du Trésor, il s’agissait de 600 millions de francs de l’époque.

Léa Vallana, son assistante au sein de Paribas, le seconde dans ses activités. Ce qui lui vaut aussi la Médaille de la Résistance.

Les Allemands ne sont jamais remontés jusqu’à eux alors que la Kommandantur avait ses quartiers à l’Opéra comme nous le précise le Bulletin n° 22 de l’association des anciens combattants de Paribas : durant l’Insurrection de Paris, entre le 10 et le 25 août 1944, les portes du 3 rue d’Antin restent fermées. Mais pas les actions de certains employés.
En effet, André Debray fait partie de ceux qui s’y rendent régulièrement pour distribuer et récupérer des informations. Mais il est aussi un lieutenant des forces de la Résistance qui participe aux batailles. Il est d’ailleurs blessé lors de l’attaque des Tuileries du 25 août 1944 par un éclat d’obus de char d’assaut, qui lui perfore le tympan et l’oreille gauche.

Les engagements d’André Debray après-guerre

Après-guerre, il faut tout reconstruire : la France, la Banque, les relations commerciales. Fin 1944, Georges Bidault crée le Mouvement républicain populaire (MRP), qui est un parti démocrate-chrétien centriste. Son objectif est de réunir catholiques, socialistes et résistants au sein d’un seul parti. Il demande à son ami de le rejoindre dans ce mouvement.
Dans le même temps, une volonté politique grandit partout en Europe : la nationalisation. En France, le gouvernement provisoire a pour projet de nationaliser les industries mais aussi les banques, y compris les banques d’affaires. L’industrie et le commerce français doivent se relever et reprendre une place internationale importante, les banques d’affaires perçoivent la nationalisation comme un frein à cet élan et entrent en négociation pour conserver leur indépendance. Ce sont Jean Reyre (lui aussi directeur de la banque) et André Debray qui vont mener les négociations pour Paribas.

Robert Bordaz (ancien Commissaire du Gouvernement près la Banque de Paris et des Pays-Bas de 1946 à 1951) témoigne à ce sujet dans une interview donnée en 1995 à l’Association pour l’histoire de BNP Paribas (fonds d’archives orales). Il y confirme que Debray et Reyre s’occupaient beaucoup de voir les gens pour éviter la nationalisation ; c’est eux qui avaient les contacts les plus importants. Il dit d’ailleurs d’André Debray qu’il était très gentil, c’était un garçon assez gai, assez agréable et qui évidemment était très bien placé pour lutter contre la nationalisation de la Banque à laquelle il était très hostile.
La direction de la banque est ainsi mobilisée pour que les répercussions de cette nationalisation soient étudiées, voire anticipées. C’est le cas de sociétés où Paribas est actionnaire majoritaire comme la Société norvégienne de l’azote ou encore pour les filiales de la banque à l’étranger.
Le 26 avril 1946, après de longs mois de négociations, le gouvernement renonce définitivement à son projet de nationaliser Paribas.

Choisir André Debray comme représentant du MRP aux premières élections du Conseil de la République, apparaît alors comme une évidence. Elu par l’Assemblée nationale, il siège à la Commission des affaires économiques et à la Commission de la défense nationale.

En 1947, il participe au projet de loi relatif aux frais de mission et indemnités de fonctions des maires et de leurs adjoints, ainsi qu’au projet de loi relatif à la répartition des produits industriels, en tant que rapporteur de la Commission des affaires économiques.

Sa vie politique ne dure que deux ans, son état de santé le contraignant à arrêter ses activités dans ce domaine.

Le champ de ses actions s’étend à l’international

André Debray est toujours directeur de la Banque de Paris et des Pays-Bas. Ses activités se multiplient et les reconnaissances aussi. Comme lors de la 36e séance du Conseil d’Administration, le 17 octobre 1946, Louis Wibratte, alors président de Paribas, le félicite pour la médaille de la Résistance avec rosette dont il vient d’être décoré. Cette même année, il prend le poste d’administrateur de la Banque des Pays de l’Europe centrale.
En 1947, il devient administrateur du Crédit Foncier Franco-Canadien et intègre le comité consultatif de Paris, au nom de Paribas, auprès de la Banque nationale du Mexique. Par ailleurs, c’est avec l’agrément du ministre des Finances, Robert Schuman, qu’il devient administrateur de la Banque d’Etat du Maroc. Il est en parfait accord avec celui qui est devenu son directeur général, Jean Reyre, dont la volonté de faire de Paribas une grande banque d’affaires internationale s’inscrit dans la ligne directrice insufflée par Horace Finaly dès 1919.
Dans le cadre de l’accord de 1948 entre la France et la Pologne, il reste en lien avec le nouveau ministre des Finances pour organiser les indemnisations des industries et des biens français touchés par la loi polonaise de 1946 sur les nationalisations.

André Debray s’éteint en 1954 à Paris.

Et ceux qui furent de près ou de loin ses amis, regrettent non seulement l’homme qu’il fut, mais encore la personnalité hors-série qui était la sienne, et dont, avant qu’il ne soit trop tard, je voudrais tenter de fixer ici quelques traits. Les années passant, on verra mieux la place discrète, mais de premier plan, qu’il occupa dans l’histoire de ces vingt dernières années, et où, comme il arrive parfois, la mort soudain l’immobilise. […] Ce qu’il disait, il le dominait pleinement. Il le disait nettement. Il le démontrait irrésistiblement. Lorsqu’il avait cessé de parler on avait l’impression de savoir où était le vrai, où était le faux, et que la ligne de partage était désormais sans fissures.

Georges Hourdin – journaliste et rédacteur en chef

Souvenirs sur André Debray – Le Monde, 16 juin 1954

Georges Hourdin ajoute qu’à l’occasion de l’une de leur discussion, alors que le débat sur les actions menées autour de la nationalisation en 1945 est critiqué, André Debray lui dit : Il faut rester fidèle à ce que nous avons fait là. C’est une simple question de décence.

Cette article a bénéficié de l’expertise de Thierry Marchand.
N’hésitez pas à lire son dernier ouvrage historique :

Résistance et espionnage – Les pionniers du Service de renseignement de l’armée de l’air en Normandie


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