La proclamation du « Prix d’histoire économique AFHÉ BNP Paribas » 2017 a eu lieu le 27 novembre dans l’auditorium de BNP Paribas, 14 rue Bergère à Paris. Marguerite Martin et Cécile Troadec ont été distinguées pour leurs thèses respectives sur les marchés de l’indigo en France à l’époque moderne et la Rome économique et sociale au XVe siècle.

De gauche à droite : Jean Lemierre, Marguerite Martin, Cécile Troadec, Guillaume Daudin.
Il s’agit de la 4e édition de ce prix biennal fondé en 2011 par l’Association française d’histoire économique (AFHÉ) et BNP Paribas. Sa vocation est de récompenser deux docteurs de haut niveau ayant soutenu une thèse d’histoire ou de sciences humaines et sociales, dans le champ de l’histoire économique, rédigée en langue française.
A cette occasion, Jean Lemierre a rappelé le sens du partenariat de BNP Paribas avec l’AFHÉ : « Soutenir la diffusion de la culture économique et encourager la recherche afin de contribuer à une meilleure prise en compte des enjeux économiques dans les débats nationaux ou internationaux ».
D’autre part, l’AFHÉ organisera en 2021, à Paris, le Congrès mondial d’histoire économique – ce qui n’est pas arrivé depuis 1962. BNP Paribas soutiendra l’organisation de ce Congrès.
Marguerite MARTIN, l’une des deux lauréates, récompensée pour sa thèse intitulée :
|
Pourquoi avez-vous choisi d’explorer les marchés de l’indigo du XVIIe au XVIIIe siècle ? Avez-vous rencontré des difficultés spécifiques durant vos recherches ?
Au XVIIIe siècle, les vêtements se parent de couleurs. Des motifs, fleurs, rayures, dessins, viennent égayer des étoffes jusque-là plus ternes. L’essor de la mode et des consommations textiles, étendues à des franges plus modestes de la société, fait de la couleur des étoffes un argument de vente décisif pour les producteurs. Mais le secteur de la teinture a longtemps été peu étudié par les historiens, alors même qu’il connaît de profondes mutations à l’époque moderne : l’importation croissante de colorants exotiques d’Amérique et d’Asie, produits dans le contexte de la colonisation, l’essor d’un nouveau secteur de production : les cotonnades peintes et imprimées, l’émergence de la chimie moderne. L’indigo, extrait de plantes tropicales poussant en Amérique, en Afrique et en Asie, est l’un des colorants les plus employés en teinture : il permet d’obtenir le bleu, devenu la couleur préférée des Européens à partir du Moyen Âge, mais aussi des gris, des noirs, des verts et des violets. C’est donc une porte d’entrée privilégiée pour mieux comprendre les logiques de la production de la couleur à l’époque moderne.
A travers l’étude des marchés de l’indigo, mon objectif était cependant plus large : en premier lieu, contribuer à l’étude des connexions entre l’économie de la plantation esclavagiste mise en place dans les empires coloniaux, le commerce atlantique et l’essor du textile européen, moteur de l’industrialisation du continent. En second lieu, il s’agissait d’étudier les mécanismes de construction des marchés dans l’Europe moderne. Sont-ils guidés par des systèmes de prix provenant de l’équilibre entre offre et demande ? Ou résultent-ils d’une construction institutionnelle et sociale, dans laquelle les transactions singulières, les relations personnelles entre acteurs, l’encadrement normatif des échanges priment, comme tendent aujourd’hui à le privilégier de nombreux historiens ? Dans un tel modèle cependant, quelle fonction les prix ont-ils ? Et comment l’insertion croissante de l’économie européenne dans des réseaux d’échange intercontinentaux pouvait-elle modifier les règles du jeu économique ?
Une thèse est souvent un long travail solitaire, semé d’hésitations et d’incertitudes puisqu’il s’agit d’explorer un champ encore inconnu. Très peu de travaux avaient été publiés sur la teinture, très peu aussi sur la production dans la colonie française de Saint-Domingue, qui s’est révélée être le principal producteur d’indigo pour l’Europe au XVIIIe siècle. Les archives étaient très dispersées et difficilement identifiables, localisées dans tous les grands ports de France : Bordeaux, Marseille, Nantes, Rouen, dans les centres du textile, Lyon, Lille… Il a donc fallu du temps et des recherches approfondies avant de comprendre clairement comment s’organisait ce marché. J’ai eu la chance de bénéficier du soutien financier de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne puis de l’université du Maine, sans lesquels je n’aurais pas pu consacrer tant de temps à la collecte des données puis à la rédaction du manuscrit de thèse : qu’ils en soient ici remerciés.
Que représente ce prix pour le jeune chercheur que vous êtes ? Quels sont vos prochains projets ?
Ce prix est d’abord la reconnaissance de mon travail par des spécialistes de l’histoire de l’économie. Il va me permettre de diffuser ma thèse et de la publier. Je suis donc très honorée de l’avoir reçu et remercie vivement l’AFHE et BNP Paribas pour cette distinction. Cela m’encourage à continuer dans la voie de la recherche, dans un contexte où celle-ci est menacée par la réduction du nombre de postes offerts à l’université. Bien entendu mes prochains projets sont très dépendants d’un éventuel recrutement dans l’enseignement supérieur, où les places sont chères. L’avenir reste donc ouvert !
La recherche en histoire économique peut-elle contribuer à une meilleure compréhension des enjeux et mécanismes économiques en général ?
Bien entendu : l’histoire économique montre comment et pourquoi les règles du jeu économique peuvent changer en fonction du contexte politique, culturel et institutionnel. Elle vient rappeler que les règles du marché ne sont pas universelles et immuables, et qu’il est possible d’imaginer d’autres modèles économiques que celui dans lequel nous vivons. Les travaux des historiens montrent que même si l’homme est souvent pris dans des mouvements qui le dépassent, il a une capacité d’agir pour transformer le monde qui l’entoure. Dans ce contexte, les grands acteurs de l’économie, notamment les grands groupes bancaires et industriels, ont un rôle décisif pour accompagner le changement et participer au choix des règles qui doivent gouverner notre modèle économique à venir. L’histoire nous rappelle constamment notre responsabilité dans la construction du monde futur.
Retrouvez le résumé de la thèse de Marguerite Martin ici.
Cécile TROADEC, deuxième lauréate du Prix AFHE BNP Paribas, a soutenu une thèse intitulée :
|
Retrouvez le résumé de la thèse de Cécile Troadec ici.