BNP Paribas et le développement du réseau ferré au Maroc dans les années 1920-1950

Temps de lecture : 14min Nombre de likes : 2 likes Mise à jour le : 16 Déc 2022

Aujourd‘hui l’un des plus modernes d’Afrique, le réseau ferroviaire marocain a connu un développement relativement tardif, et chaotique.
Depuis le milieu du XIXe siècle, le Maroc se modernise et s’ouvre au commerce européen, mais il n’existe à l’époque aucune voie de chemin de fer dans le pays. Si depuis l’établissement du Protectorat de la France en 1912, un chemin de fer à voie étroite est construit et ouvert au trafic commercial en 1915, les temps de trajet sont longs et les liaisons lentes : il faut cinq jours pour aller de Casablanca à Oujda. La création d’un réseau ferré plus adapté est donc un enjeu capital dans la réformation de l’Etat chérifien et la mise en valeur commerciale du territoire.
Au travers d’une sélection de documents d’archives issues des collections de BNP Paribas, couvrant les années 1920-1950, nous vous proposons de porter un coup de projecteur sur le développement des chemins de fer marocains, dans lequel les banques ancêtres de BNP Paribas ont joué un rôle stratégique dans son financement.  

La Compagnie générale du Maroc (CGM), une holding influente

Tout commence par la création en 1912 par la Banque de Paris et des Pays-Bas (BPPB), appuyée par un groupement des grandes banques françaises, de la Compagnie générale du Maroc (CGM), une société de portefeuilles qui gère les participations de ses actionnaires dans une multitude d’entreprises, avec pour siège Paris. Elle est présidée par un dirigeant de la BPPB, tandis que le CNEP (Comptoir national d’escompte de Paris), la BFCI (Banque française pour le commerce et l’industrie) et la Banque impériale ottomane, toutes banques ancêtres de BNP Paribas, et les autres banques partie prenantes, sont représentés au conseil.

Le portefeuille de participations regroupe essentiellement des entreprises de travaux publics et d’équipements collectifs, de chemins de fer, d’éclairage électrique, d’exploration minière et pétrolière, de l’industrie, de sociétés agricoles.

La société concourt ainsi à la mise en valeur de l’économie du pays. Son action s’exerce surtout à travers ses contacts, ses réseaux et sa capacité à mobiliser les autres banques de la place. Elle va ainsi devenir un actionnaire incontournable des futures sociétés exploitantes du chemin de fer marocain.

Trois sociétés pour exploiter le système ferroviaire marocain

La plus importante : la Compagnie des chemins de fer du Maroc (CFM)

Compagnie des chemins de fer du Maroc, Obligation 6% de 500 francs, 1923, Archives historiques BNP Paribas

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le 29 juin 1920, une concession est concédée à la Compagnie des chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée (PLM), à la Compagnie générale du Maroc (qui en détient 33% des parts) et à la Compagnie marocaine : elles obtiennent un réseau de 945 km pour construire 6 lignes, un réseau desservant les grands axes du Maroc, de la frontière algérienne à Marrakech.

En février 1922, ces 4 concessionnaires constituent la Compagnie des chemins de fer du Maroc (CFM), société française logée à la même adresse que la CGM et administrée à Rabat.

La CFM doit y poser et exploiter une voie normale, c’est-à-dire à écartement européen de 1,44 m, qui remplacera, où elle existe, la voie étroite :

  • en décembre 1928, le rail civil réunit Fès à Marrakech – de Fès à Petitjean (Sidi Kacem), la voie est celle du Tanger-Fès, ouverte sur ce tronçon depuis octobre 1923 ;
  • la ligne CFM s’y raccorde – elle relie, depuis juin 1923, Rabat par Kenitra.
  • Rabat-Casablanca, électrifiée en 1927, est mise en service en juin 1925,
  • et la ligne Casablanca-Marrakech par Settat est terminée en décembre 1928.

Ce réseau a une longueur de 458 km.

S’y ajoutent, sur cette dernière ligne, deux embranchements desservant des zones minières :

  • à Berrechid, celui de Khourigba-Oued Zem terminé en juin 1925, 120 km électrifiés ;
  • à Ben-Guerir, celui de Safi par Louis-Gentil (Youssoufia), 142 km mis en service en mai 1933 et relevant du second réseau concédé en 1929.

En 1934 est terminée la grande artère Marrakech – Casablanca – Rabat – Meknès – Fès – Taza – Oujda, prolongée jusqu’à la frontière algérienne. En 1955, le réseau ferré marocain constitue 1 856 km

La voie ferrée traverse de riches régions agricoles (Rharb, plaine du Saïs), dessert les grandes villes industrielles, dont l’agglomération Casablanca-Mohammedia et les cités de Fès, Tanger, Kenitra, et transporte des produits pondéreux.

Carte d’ensemble des chemins de fer du Maroc, 1955, Archives historiques BNP Paribas

La CFM assure aussi l’exploitation technique des voies ferrées de la Compagnie des chemins de fer du Maroc oriental et de la Compagnie franco-espagnole du chemin de fer de Tanger à Fez.

La Compagnie des chemins de fer du Maroc oriental

L’installation de la ligne Oujda-Bou Arfa n’était pas comprise dans le projet de la CFM de 1920.

Suite à une gestation difficile, est fondée à Rabat en mai 1927 la Compagnie des chemins de fer du Maroc oriental (CMO), afin de construire et exploiter une ligne de 349 km permettant d’évacuer le manganèse de Bou Arfa sur Oujda. Filiale de la CFM et de la Société des mines de Bou Arfa, la CMO, constituée en avril 1927 pour cinquante ans, est présidée par A. Mange, administrateur de la CFM et du Paris-Orléans, et est une société de droit marocain. Le projet est de poser une voie de 1,05 m.

La Compagnie des chemins de fer du Maroc oriental, carte de la ligne de Fès à Oujda, Archives historiques BNP Paribas

En novembre 1929, ce premier réseau a été complété par la concession dite du second réseau, de moindre longueur, dans la mesure où la partie située au Maroc oriental était déjà comprise dans le tracé général de 1920.

Compagnie des chemins de fer du Maroc, 2e réseau, 1933, Archives historiques BNP Paribas
Compagnie des chemins de fer du Maroc, 2e réseau, 1933, Archives historiques BNP Paribas

La ligne Tanger-Fès, le chemin de fer franco-espagnol

Suite à l’accord franco-allemand du 4 novembre 1911 venu mettre un terme à la crise d’Agadir, priorité est donnée à la construction de la ligne de chemin de fer Tanger-Fès avant toute autre construction de ligne à caractère public au Maroc.

Compagnie des chemins de fer du Maroc, Compagnie franco-espagnole du chemin de fer de Tanger à Fez, Bibliothèque nationale de France

Un premier protocole est conclu le 27 novembre 1912 : la future compagnie aura un caractère international, le capital réparti à hauteur de 60 % pour la France et 40 % pour l’Espagne.

En avril 1913, la CGM est désignée par le gouvernement français pour constituer l’élément français de la société concessionnaire du chemin de fer Tanger-Fez et souscrire la part française de son capital. Fondée à Meknès en juin 1916, la Compagnie franco-espagnole du chemin de fer de Tanger à Fez traverse la vallée du Sébou, région très fertile et dessert Souk el-Arba et Petitjean.

Liste des institutions bancaires et de leur prise de participation dans la Compagnie franco-espagnole du chemin de fer de Tanger à Fèz, 1916, Archives historiques BNP Paribas

La convention accordant la concession de la ligne est signée le 18 mars 1914, après avoir été sanctionnée par des lois françaises et espagnoles. Elle est adjugée à un consortium formé par la Compagnie générale du Maroc et la Compañia general española de Africa. Sur les 315 kilomètres du parcours, 18 km s’effectueront en zone internationale tangéroise, 93 km en zone espagnole, et 204 km en zone française. Il faut cependant attendre le 26 juin 1916 pour que ces deux sociétés créent la Compagnie franco-espagnole du chemin de fer de Tanger à Fès.

Statuts de la Compagnie franco-espagnole du chemin de fer de Tanger à Fez, 1916, Archives historiques BNP Paribas

La ligne est entièrement terminée en 1927, après les ouvertures des tronçons suivants : 111 km de Fès à Sidi Kacem en avril 1923, 46 km Sidi Kacem – Mechra Bel Ksiri en août 1925, 12 km Mechra Bal Ksiri – Souq Larb’a al Gharb en juillet 1926 et 142 km de Souq Larb’a al Gharb à Tanger en juillet 1927.

Le transport des marchandises, vocation principale du chemin de fer au Maroc

Dès 1923, la création de voies spécifiquement minières atteste ce rôle essentiel : desserte du « Plateau des Phosphates » et du gisement des Gantour, transport du manganèse du Haut-Atlas, chargé en gare de Marrakech, en direction de Casablanca.

Loin derrière les phosphates, l’ensemble des autres produits miniers forme encore une part notable du trafic ferroviaire. Puis ce sont les produits agricoles, céréales et agrumes qui occupent le troisième rang dans le tonnage ferroviaire.

Enfin, le chemin de fer marocain assure très tôt le rôle d’une partie des transports en commun : il est emprunté pour les relations de ville à ville, comme pour les longs trajets vers Tanger, Oujda ou avec les pays voisins, comme l’Algérie.

Après l’indépendance du pays en 1956, l’ensemble du réseau ferroviaire, relativement moderne et en bon état, est pris en charge par l’Etat marocain, seule la Compagnie Tanger-Fès conserve une certaine autonomie financière. Le 1er janvier 1963 est créé l’Office National des Chemins de Fer (ONCF), établissement public, à caractère industriel et commercial.

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