BNP Paribas et l’industrie de l’électricité, 1881-1950
Si l’événement fondateur de l’arrivée de l’électricité en France fut l’exposition universelle de 1881, mettant en lumière une science en plein essor, c’est l’installation des réseaux de tramways électriques et l’automatisation et exploitation du chemin de fer qui furent déterminants pour l’expansion de l’industrie électrique en France. Ce fut un processus lent, et ce n’est qu’au tournant du XXe siècle que le marché de l’électricité prit son élan avec le développement de la traction électrique sur les réseaux des transports urbains.
Un secteur rapidement en forte croissance
C’est à cette époque que le secteur de l’électricité entame son industrialisation, avec un besoin croissant en investissements, au fur et à mesure qu’augmentaient la taille des usines de production et l’extension des réseaux. Ce sont les producteurs et distributeurs d’électricité qui, par une structuration de l’offre et la baisse des prix, organisent le marché et transforment le besoin d’électricité en un usage quotidien. Ainsi, l’économie électrique devient progressivement un élément central de l’économie du pays.
Importants besoins de financement
Ces entreprises électriques ont besoin d’argent. A partir de 1905, avec l’essor de la production de courant et la constitution des premières entreprises d’envergure, le financement privé devient une ressource capitale pour l’ensemble des acteurs de l’industrie électrique. Ainsi, les entreprises du secteur intensifient leur recours aux émissions d’actions et d’obligations, afin de financer tant le démarrage de leurs activités que la construction d’usines de production et le développement de réseaux de distribution et transport. Si jusque-là, la part des émissions de valeurs d’électricité était modeste dans l’ensemble des émissions dont elle ne représentait pas plus 5%, en 1906, les émissions du secteur atteignent déjà plus de 16% du total et plus de 17% en 1909.
Un secteur capital pour les banques dans les années 1900-1930 : vers un développement de stratégie de groupe
Les banques commencent à jouer ainsi un rôle primordial dans le développement de l’électrification et des réseaux de distribution des grandes villes françaises, en cherchant à s’insérer dans les affaires d’électricité. Elles intègrent petit à petit les conseils d’administration des entreprises électriques via des prises de participation de cette industrie en plein boom : à la veille de la Première guerre mondiale, le tiers des présidents et vice-présidents des grandes entreprises électriques françaises sont des banquiers. Parmi eux, figurent ceux de Paribas, le Comptoir national d’escompte de Paris (CNEP) ou la Société générale de Belgique (Fortis), banques ancêtres de BNP Paribas.
Attardons-nous sur le cas de Paribas. Dès la fin du XIXe siècle, la banque devient actionnaire de nouvelles sociétés et compagnies d’électricité, puis dans une politique d’investissement plus ambitieuse, est à l’initiative de la création d’un certain nombre d’entre elles. Elle opère d’abord au profit des producteurs et distributeurs d’électricité au moment où ces derniers se financent sur le marché au moyen d’emprunts à long terme. Ainsi, elle s’associe à Schneider en 1898 dans la Franco-suisse pour l’industrie électrique, prend des participations dans la Compagnie parisienne de distribution d’électricité (CPDE) en 1907, dans la Société centrale pour l’énergie électrique aux côtés de Thomson et du groupe allemand AEG. Au cours des années 1930 et 1940, Paribas participe à de nombreuses augmentations de capital et à de multiples autres opérations de financement de la CPDE (1930, 1934, 1937 et 1950).
Puis, Paribas est à l’initiative de la création de diverses sociétés. Au moyen d’une stratégie de réseaux, la banque met en œuvre outre les liens financiers, des liens de personnes à travers les conseils d’administration et des liens de fournisseurs à clients. Ainsi, l’ingénieur Henry Urban, très impliqué dans les affaires d’électricité, est recruté en 1916 pour diriger la succursale de Bruxelles, tandis que Louis Wibratte devient directeur du siège en 1920. C’est sur l’initiative du premier que sont créées les Constructions électriques de France et les Constructions électriques de Belgique, entreprises franco-belges intégrées de construction de matériel électrique, destinées à la traction et à l’équipement de centrales, comme à l’exploitation de réseaux électriques et ceux de tramways. Cet ensemble fut complété par l’entrée de Paribas comme actionnaire de référence aux côtés du groupe belge dans la Société nouvelle de constructions et de travaux, importante entreprise de travaux publics : la création en 1923 de l’Energie électrique du Rouergue, consacré à alimenter la région de Toulouse, en est une émanation directe. Puis, en 1928, ce sera la création d’Alsthom, en 1931 de la société belge Electrobel ou la SCIE (à l’époque, Traction et Electricité), société spécialisée dans la gestion des portefeuilles, dont celui de la Compagnie centrale d’énergie électrique.
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Le Comptoir national d’escompte de Paris (CNEP) devient, entre autres, la banque principale du groupe Thomson et de la Compagnie des compteurs. Elle est aussi, pendant des années, membre du conseil d’administration des Tréfileries et laminoirs du Havre (fournisseur de câbles électriques). Les liens entre la banque et Thomson ne s’arrêtent pas là : en effet, Emile Mercet, président depuis sa fondation en 1893 de la Compagnie française de l’exploitation des procédés Thomson-Houston (CFTH), en quitte la présidence et devient en 1902 président du CNEP. La Thomson française a eu un rôle essentiel dans l’équipement électrique du pays et avait pour objectif de diffuser les procédés américains de General Electric en Europe. La France, fortement sous-équipée, fut une priorité et on constate que le financement était en large partie parisien. Le CNEP a ainsi pris part au financement ou à la prise de participation de tous les grands projets électriques régionaux – CPDE, Compagnie d’électricité de l’Ouest parisien, Société de distribution d’énergie électrique du Rhône, Energie électrique du littoral méditerranéen, Centrale électrique de Rouen, Energie électrique de la Basse Isère, Compagnie électrique de la Loire et du Centre, Electricité de Reims, Compagnie hydro-électrique d’Auvergne, Société havraise d’énergie électrique, Société lyonnaise de Force & Lumière, etc.
Disposant d’une participation même minoritaire aux côtés d’autres établissements financiers et industriels dans le secteur de l’électricité, les banques ancêtres du groupe BNP Paribas jouent de fait un rôle influent en raison de l’importance des intérêts industriels qu’elles contrôlent directement. On constate que les grands groupes électriques apparaissent à l’époque où les grandes banques commençaient à s’intéresser à l’industrie hydro-électrique. Et ce processus se développe après la guerre avec l’arrivée massive des banques : le secteur s’est définitivement intégré dans le paysage industriel et il devient inévitable d’y investir des capitaux. Certaines banques prennent même les devants, comme ce fut le cas pour Paribas.
Les émissions, actifs clefs pour le financement dans les années 1930-1940
Dans l’entre-deux guerres, l’industrie électrique a besoin d’un important volume de capitaux pour se développer et le recours au financement externe est vital : on estime ainsi qu’en 1933 les capitaux investis dans l’industrie électrique atteignaient un total de 20 milliards, soit plus du tiers des capitaux investis dans les chemins de fer depuis l’origine. À la même date, les sommes investies dans la chimie, les mines de charbon et la sidérurgie étaient évaluées respectivement à 15, 12 et 5 milliards.
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La Société générale de Belgique, réputée pour son engagement dans le financement de l’industrie en Belgique, ne s’engage dans le secteur de l’électricité qu’à partir de 1906, grâce au rôle moteur joué par Jean Jadot, devenu directeur de la banque. Il élargit l’horizon de la banque en lui faisant prendre pied dans le secteur de l’électricité, via de nombreuses prises de participations. Théâtre d’une concentration technique et financière, le secteur de l’électricité se réorganise et attise les intérêts des grandes banques mixtes : si en 1918 le portefeuille de participations de la Générale de Belgique dans le secteur de l’électricité ne représente que 1%, en 1930, il passe à 6% du portefeuille, progressant de 144%.
En 1945, le placement annuel des valeurs d’électricité représente 35% des valeurs placées en banque. Les titres émis par les société hydro-électriques, les plus grosses consommatrices de capitaux, y comptent pour les deux tiers. Le secteur électrique vient donc largement en tête des placements.
En guise de conclusion
La nationalisation du secteur de l’électricité en France en 1946
En avril 1946, pour permettre la reconstruction de la France et favoriser un développement électrique harmonisé sur tout le territoire, le gouvernement décide de créer un acteur énergétique national et totalement intégré : Electricité de France (EDF). Par voie de nationalisation, est créé un établissement public national à caractère industriel et commercial. L’Etat lui confie la gestion des anciennes sociétés d’électricité. Cette structure est chargée du développement de l’électricité en France, une activité considérée comme stratégique : elle contrôle tout, de la production à la distribution.
Les besoins de financement et le rôle joué par le secteur bancaire
Dans les premières années d’existence d’EDF, l’Etat fait un appel massif à l’épargne, afin de financer un immense programme de travaux à un rythme accéléré. EDF contracte aussi des emprunts bancaires à court terme. Paribas et le CNEP participent aux augmentation de capital de l’entreprise et octroient en 1946 et 1947 des facilités d’escompte.
L’industrie électrique devient le principal moteur de reconstruction des années d’après-guerre et l’objectif de sortir le pays de la pénurie d’énergie électrique est atteint en 1950.
En savoir plus sur l’histoire de la Compagnie parisienne de distribution électrique
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