Nelly Devienne, sténodactylo au CNEP et pionnière de la presse résistante du Nord

Mise à jour le : 13 Mar 2025
portrait de Nelly Devienne
Création Archives historiques BNP Paribas d’après les archives de son dossier personnel. Archives municipales de Roubaix, cote n°8J52030, 1948

Nelly Devienne est secrétaire de direction au sein du Comptoir national d’escompte de Paris de Roubaix lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate. Son engagement dans la Résistance est immédiat. Grâce à ses talents de sténodactylo, elle fonde La Voix de la Nation, un journal clandestin. Pionnière de la presse résistante du Nord de la France, Nelly édite et diffuse son journal jusqu’à son arrestation par la Gestapo en 1942. Déportée Nacht und Nebel au camp pour femmes de Ravensbrück, elle y décède dix-sept jours après l’armistice.

Du CNEP à la presse clandestine

Nelly Héloïse Devienne naît le 28 mai 1912 à l’hôpital « La Fraternité » de Roubaix. Originaire d’une famille modeste, elle suit des études de sténodactylo et de comptabilité pour se forger un avenir. En 1934, Nelly est l’une des deux seules candidates à passer avec succès l’examen commercial supérieur. Sa vitesse de frappe est remarquable : 120 mots à la minute. Une aptitude qui deviendra un atout précieux. Cette même année, elle intègre l’agence du Comptoir national d’escompte de Paris de la rue de la gare de Roubaix, en tant qu’employée de banque.

Cinq ans plus tard, l’Europe entre dans la Seconde Guerre mondiale.

Le 24 mai 1940, au cours de la bataille de France, la ville de Roubaix est prise par les Allemands. Nelly, qui n’a que 28 ans, décide d’entrer dans la Résistance.

Quelles sont les raisons profondes d’une telle décision ?

Photo extraite de son dossier personnel. Archives municipales de Roubaix, n°8J52030, 1948

L’esprit combattant en héritage

La détermination combative de son père Jules, Dragon durant la Première Guerre mondiale, a certainement influencé la jeune Nelly. Il reste en effet mobilisé de 1914 à 1919. C’est aussi dans l’estaminet qu’il tient depuis quelques années que Nelly croise des opposants au gouvernement de Vichy et à l’Occupation allemande. Le tract de 1940 du Docteur Guislain – qui dirige des réseaux de résistants – intitulé France relève la tête et le journal clandestin belge La Libre Belgique vont inspirer Nelly.

C’est une révélation pour elle : la presse clandestine fédère les patriotes. Les tracts sont un succès. Elle y voit une façon d’être utile à la Résistance.

Métier public et secret de la Résistance

Nelly Devienne trouve donc le moyen par lequel elle va servir les intérêts de la France.

Elle fonde La Voix de la Nation avec l’aide de Paul Deltête, résistant lui aussi.

La double vie de Nelly commence : secrétaire au CNEP le jour, rédactrice clandestine la nuit et les week-ends.

Il n’est pas question pour elle de quitter son activité professionnelle au sein du CNEP, bien au contraire !

Son emploi la positionne à un carrefour stratégique lui permettant de collecter et de partager des informations.

Jusqu’à ce que les deux mondes s’entremêlent

C’est ce que souligne le procès qui lui est intenté « au nom du peuple allemand » en 1943 après son arrestation.
Nous y apprenons que les nazis auraient eu la preuve qu’elle diffusait également La voix de la Nation sur son lieu de travail.

D’ailleurs, comme le mentionne son dossier du SHD de Vincennes, l’arrestation de Nelly Devienne se déroule rue de la Gare, dans l’agence du Comptoir national d’escompte de Paris où elle exerce.

En tant qu’employée de banque, Nelly a accès à des informations sensibles. Au contact de la clientèle et de ses collègues, elle accède par ailleurs probablement aux informations adressées à son directeur d’agence par la direction générale du CNEP. Comme par exemple à ce document de juin 1941 dans lequel figurent les montants des allocations versées aux familles en fonction de leur région de résidence. Allocations qui rejoignent celles destinées tantôt à l’envoi d’un colis aux prisonniers, tantôt à pallier l’absence de l’unique salaire d’un foyer.

Comme tous les employés du CNEP, elle a accès aux circulaires de son groupe et aux notes du service du personnel.

Il est même possible qu’elle y reconnaisse les noms de personnes réquisitionnées, de collègues faits prisonniers ou d’agents morts pour la France. Toutes ces informations figurent dans des listes tenues à jour par le CNEP.

Tous ces éléments ne peuvent que renforcer son envie de combattre l’occupant par tous les moyens dont elle dispose.

C’est ainsi que germe l’idée de créer La Voix de la Nation en soutien au général de Gaulle.

Mais comment rédiger et diffuser ce journal clandestinement sans se faire découvrir ?

Nelly Devienne, fondatrice de La Voix de la Nation

Nelly contribue à la diffusion du second tract du docteur Guislain : France, on se moque de toi.
Forte du succès de ses actions de propagande, elle en tire également des leçons pour ses propres initiatives.

Et le réseau se met en place.

Son dossier au Service historique de la défense, contenant des documents de la Résistance intérieure française, précise qu’il « faut trouver des rédacteurs, du matériel, du papier et de l’encre ».

La fondatrice du journal clandestin attire rapidement l’attention du résistant Robert Delaval. C’est lui qui crée le réseau de Résistance « Action 40 » que Nelly Devienne rejoint. Il voit en Nelly et son journal un atout précieux pour développer son réseau, recueillir des renseignements, rechercher des parachutages, des armes et des contacts avec les Anglais.

Lors du procès de Nelly Devienne, le juge indique : « L’inculpée a fabriqué et distribué à Roubaix entre 1941 et 1942 dans son imprimerie en des milliers d’exemplaires le brûlot hostile à l’Allemagne La Voix de la Nation ».
Le tribunal allemand précise qu’elle a « entrepris toutes ces actions avec arrogance » – autrement dit avec fierté – grâce à « son talent exceptionnel ».
C’est un fait : Nelly tape très vite sur sa machine à écrire. Elle est en outre très organisée et déterminée. Ce qui n’a pas échappé à ses juges. Elle montre surtout des aptitudes pour rédiger, diffuser, convaincre et donc fédérer.
N’est-ce pas ce qui représente un crime majeur aux yeux de l’occupant ?

Le Nord héroïque s’écrit aussi au féminin

Ainsi, la ronéo (la machine à dupliquer) tourne à plein régime, chaque nuit et chaque week-end.

C’est là que l’agilité de dactylo de Nelly fait la différence. En seulement 18 mois, La Voix de la Nation passe de 300 à 650 exemplaires bien qu’elle soit seule à le construire et à l’éditer. Pour celà, elle rassemble les informations entendues à la BBC et les articles fournis par les réseaux de résistants.

Elle illustre son journal en recopiant certains dessins issus des tracts gaullistes. Il faut aussi se déplacer fréquemment pour ne pas éveiller les soupçons.

A cet instant, toute une région se met en marche derrière elle. Les résistants lui fournissent le matériel, les lecteurs font des dons au réseau et elle trouve différentes caches pour installer son matériel.

Pour autant, cet élan s’arrête en plein essor. Robert Delaval est arrêté en mai 1942, déporté en Allemagne et décapité. Son réseau s’effondre.

Le 23 mai 1942, Nelly Devienne rédige une lettre à l’attention des étudiants gaullistes de Lille. Ce sera sa dernière. La Gestapo l’arrête le 16 juin 1942.

Quelles sont les origines d’une telle sentence ?

Résistante jusqu’au bout !

La répression de la Gestapo et des SS face à la montée de la propagande anti-allemande est violente et radicale. A l’image du décret allemand « Nuit et Brouillard » de 1941 qui juge et condamne à mort les résistants et les résistantes.

En 1942, on ajoute la notion de « responsabilité collective » à ce décret. Cette notion vise particulièrement le rôle actif des femmes. Ce qui implique qu’elles ne sont plus épargnées et qu’elles peuvent être incarcérées, torturées, déportées, et donc, aussi condamnées à mort.

Les Allemands saisissent chez Nelly un revolver, un duplicateur, une machine à écrire, des papiers divers. Il lui est en outre reproché d’écouter la radio de Londres. Autant « d’actes de Résistance » qui se cumulent pour justifier la sentence.

« Dans le cas de Nelly Devienne, la stratégie fréquemment utilisée pour défendre les femmes est vouée à l’échec. Cette stratégie consiste à présenter les femmes comme le sexe faible qui n’agit ni de sa propre initiative, ni par conviction politique, mais seulement sur l’ordre de tiers, sans réaliser la portée de ses agissements. »

Corinna Von List

« Jugement au nom du peuple » édité par Robert Vandenbussche, traduit par Solveig Kahnt et Berlin, Publications de l’Institut de recherches historiques du Septentrion, 2007, page 20

Nelly Devienne est fondatrice du journal et elle en est fière. Elle affirme qu’elle aurait voulu en faire plus pour sa patrie. La « responsabilité collective » est conçue spécifiquement à l’encontre des femmes résistantes aussi déterminées que Nelly.

Son interrogatoire souligne : « Il lui a été demandé si elle avait également espionné, elle a répondu que non, car elle n’en avait pas eu les moyens, mais que le cas échéant elle l’aurait fait ».

Corinna Von List, en page 24 de l’ouvrage cité précédemment, nous apprend aussi que « les peines de mort prononcées envers les femmes sont souvent mises en suspens. Les femmes concernées n’en sont pas informées et sont déportées ». Ce sera bien le cas pour Nelly. Les pièces jointes à son jugement précisent qu’en décembre 1943, l’exécution est « remise ». À quand ? Où ? Le doute est volontairement entretenu.

Est-ce pour autant le signe d’un espoir de survie ?

Un nouveau combat pour son père

En 1943, Nelly Devienne et neuf de ses camarades sont jugés à Essen, en Allemagne. Sur les 10 accusés, un seul survivra.
Accusée « d’aide à l’ennemi », Nelly Devienne est condamnée à mort le 5 novembre 1943. Emprisonnée dans plusieurs établissements (Loos, Essen, Zweibrucken, Saarbrücken, Oldenburg, Braunschweig, Lübeck et Cottbus), elle est ensuite déportée au camp pour femmes de Ravensbrück. Le matricule 84 098, le sien, disparaît dans ce camp.

Après la Libération de Roubaix en septembre 1944, Jules, son père, explique qu’il n’a pas de nouvelles de sa fille. C’est au sein du dossier n°8J52030 des Archives municipales de Roubaix que nous lisons le récit de Jules Devienne sur l’arrestation de Nelly :

Lorsque les alliés libèrent le camp de Ravensbruck, ils constatent que Nelly est gravement malade et le notifient dans son dossier. Jules Devienne ne reverra jamais sa fille Nelly. Son combat prend-il fin pour autant ?

La reconnaissance de la Nation

Le docteur Guislain, survivant des camps, se joint à Jules Devienne pour faire reconnaître l’engagement de Nelly.
Il écrit à la délégation générale des Forces françaises combattantes de l’intérieur en mars 1948. L’objectif : faire inscrire Nelly Devienne à la liste des membres des FFC. Il va aussi obtenir pour Nelly le grade militaire de capitaine, et ce à compter du 1er décembre 1940. Enfin, il apporte les preuves qui permettront de l’ajouter à la liste des membres du réseau « Action 40 ».

C’est d’ailleurs dans son dossier aux FFC que nous retrouvons une demande bien spécifique :

  • Nous adressons nos remerciements aux Archives municipales de la ville de Roubaix et au Service historique de la défense de Caen pour leur aide
  • Cet article a bénéficié de l’expertise de l’historien Thierry Marchand

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