Profession : garçon de recettes

Mise à jour le : 13 Fév 2025
Pochette du podcast Garçon de recettes

Découvrez l’histoire insolite des « garçons de recettes », ces convoyeurs de fonds qui ont marqué l’histoire de la banque au XXe siècle. Dans ce podcast, partez à la découverte de leur quotidien, de leurs aventures et de leurs défis. À travers leur parcours, revivez l’époque où l’argent liquide était roi et où la confiance était la monnaie d’échange. Un voyage dans le temps qui vous fera découvrir les coulisses de la banque et les métiers qui ont façonné son quotidien.

Lire la transcription

Comme DAB                                                 

Distributeur d’anecdotes bancaires par BNP Paribas. C’est le podcast qui vous livre les coulisses et les histoires insolites de la banque. Ces moments qui font la singularité et la culture d’un groupe de 2 siècles d’existence à consommer partout et à tout moment !

Vous souvenez-vous des garçons de recettes ? Peut-être avez-vous un parent, un grand-père ou vieil oncle qui vous a parlé de cet ancien métier, disparu dans les années 60 ? Alors, peut-être savez-vous que ce n’était pas une activité sans risque ? Attaques en tout genre, détournements, les garçons de recettes n’avaient en effet pas une vie de tout repos !

Découvrons ensemble quelques-unes des aventures qui ont émaillé l’histoire de cette fonction, à une époque où l’argent liquide était encore très présent dans l’économie locale.

Nous sommes en 1945. M. Ferdinand traverse prudemment le boulevard Haussmann en évitant les autobus et les tractions-avant qui sillonnent les rues parisiennes. Tenant fermement une petite sacoche dont la chaînette de sécurité pendouille, il slalome entre les flaques boueuses pour ne pas gâter son bel uniforme, une jaquette noire à petits boutons surmontée d’un bicorne. Accrochée à sa poitrine, une petite plaque de métal sur laquelle on peut lire les mots “ Banque Nationale pour le Commerce et l’Industrie”, l’une des banques ancêtres de BNP Paribas. M. Ferdinand avance maintenant d’un pas décidé sur le trottoir, tout en gardant un œil sur les allées et venues des passants. Puis il s’engouffre dans le métro. C’est qu’il n’a pas un métier très rassurant, M. Ferdinand. C’est un garçon de recettes, un métier aujourd’hui disparu, mais qui a rempli jusque dans les années 1960 une fonction essentielle dans les relations entre les commerçants, les entreprises et les banques. M. Ferdinand est convoyeur de fonds. Il transporte de l’argent, des chèques, et tout une variété de titres de paiement, pour le compte de la Banque Nationale pour le Commerce et l’Industrie.

Il faut comprendre qu’en ce milieu du XXe siècle, l’économie locale repose en grande partie sur l’escompte, autrement dit le crédit à court terme. Voyons un peu de quoi il s’agit : Prenons un menuisier, monsieur Dubois, qui vend du mobilier à l’entreprise Ducreux.  Celle-ci, qui ne peut pas immédiatement régler le menuisier, lui demande une facilité de paiement. Les deux parties s’accordent alors via une lettre de change ou un billet à ordre –  on appelle cela des effets de commerce –  pour un règlement sous 30 jours. Pour obtenir son argent, monsieur Dubois peut alors attendre tranquillement le délai prévu. Mais il peut aussi demander à sa banque de lui avancer la somme, moins une commission. C’est ce que l’on appelle l’escompte. Charge alors à la banque de se rembourser elle-même auprès de l’entreprise Ducreux, 30 jours plus tard. C’est là qu’intervient M. Ferdinand, notre garçon de recettes, qui a pour tâche d’arpenter la ville pour récolter les sommes correspondantes.

C’est donc un emploi crucial que l’on ne confie pas à n’importe qui.

Contrairement à ce que l’intitulé de leur fonction pourrait faire penser, les garçons de recettes ne sont d’ailleurs pas des jouvenceaux. Ils doivent avoir de solides antécédents qui font l’objet d’une enquête méticuleuse au moment de leur embauche.

Conservé dans les archives de BNP Paribas, le dossier de Monsieur Ernest, entré fonction en 1908, contient le compte rendu de l’enquête de moralité dont il a fait l’objet :

M. Ernest est un sous-officier retraité, après 15 ans de service…J’ai recueilli sur son compte les meilleurs renseignements, au point de vue de la conduite, du travail, et de l’honorabilité. (Il a tenu pendant plusieurs années la comptabilité du mess des sous-officiers.) Excellent serviteur, dévoué, actif et énergique en qui on peut avoir toute confiance…

M. Ernest sera un employé consciencieux qui continuera à mériter l’estime de ses chefs. (Capitaine Serre, 22e colonial, à Hyères, 3 mai 1908 ).

Pour autant, la bonne morale n’écarte pas tous les ennuis, car les garçons de recettes, dans leur bel uniforme, attirent les convoitises. Bien qu’ils soient parfois armés, ils offrent une cible de choix pour les malfrats en quête d’un beau larcin. Retrouvons M. Ferdinand qui sort justement du métro Commerce et s’engouffre sans se douter de rien dans la rue Lakanal. Le rapport de l’inspection générale décrit les faits :

 “Au moment où Monsieur Ferdinand s’apprêtait à traverser la rue Gustave Larroumet, il était assailli par derrière par deux individus qui le bâillonnaient et lui couvraient les yeux, puis était jeté à terre. Sa sacoche lui fut arraché et les agresseurs prirent la fuite dans une automobile Citroën noir traction avant”.

Alors bien-sûr, on pourrait penser que c’est l’uniforme, très reconnaissable, des garçons de recettes qui est responsable de leurs malheurs. Mais il n’en est rien. Non seulement, il  leur procure une dignité qui maintient les petits voleurs à distance. Mais par-dessus le marché, il apparaît que le fait de ne pas recourir à l’uniforme ne les préserve en rien des malfrats plus organisés. C’est ce que démontre un autre dossier d’enquête, celui de M. Jeanneau, attaqué en 1947.

Le début du rapport ressemble tristement, c’est vrai, à celui de M. Ferdinand :

 “ Alors qu’il  regagnait l’Agence à bicyclette… M. Jeanneau a été coincé en bordure du trottoir et renversé par une automobile Citroën traction avant. Un individu masqué et armé d’une mitraillette est descendu aussitôt de la voiture, et, sous le menace de son arme, s’est emparé de la serviette qui avait glissé du porte-bagages de la bicyclette, tandis que deux complices, également masqués et munis d’une mitraillette, apparaissaient à la portière, prêts eux aussi à faire usage de leur arme en cas de besoin “

Mais plus loin, l’inspecteur a pris soin de noter les précisions suivantes :

“Celui-ci n’était pas revêtu de l’uniforme habituellement réservé à cet emploi. De plus, et également à l’effet de ne pas attirer l’attention, la sacoche contenant les chèques et les espèces était placée dans une grande serviette du même modèle que celles utilisées pour le transport du courrier.”

La solution est donc ailleurs, dans les préconisations que ne manque pas de noter l’inspecteur adjoint en fin de rapport :

“Il serait souhaitable que les garçons de recette n’empruntent pas le même itinéraire invariable… Leur trajet pourrait s’en trouver légèrement allongé, mais des ennuis plus graves pourraient être, grâce à cette précaution, évités.”

Malheureusement, les ennuis ne viennent pas toujours de l’extérieur. A force de transporter des sommes considérables, il arrive que certains garçons de recettes voient leur intégrité flancher.  C’est le cas de M. Seyer, dont la situation personnelle est devenue très pénible. Sa femme est malade, il doit s’occuper de sa fille en bas âge et malgré un emprunt à ses employeurs et des avances sur salaire, il ne s’en sort pas. Est-il distrait par ses pensées, ou bien a-t-il réellement l’intention de détourner de l’argent ? Toujours est-il qu’il remet à un client, M Thévenin, un avis de passage – un document normalement réservé aux impayés –  au lieu d’un reçu. Les mois passent et l’anomalie n’est pas détectée. Il est peut être honnête, M Seyer, mais le besoin le pousse au crime. En deux jours, il répète l’opération quatre fois et empoche 16000 francs. Le rapport d’enquête indique que, malheureusement pour lui, une cliente vient rapidement rapporter l’anomalie à la banque, obligeant le garçon de recette, non seulement à rembourser le fruit de son larcin, mais aussi à démissionner, ce qui n’arrange pas ses affaires. Et le rapport de conclure

“Il est regrettable que SEYER n’ait pas franchement exposé sa situation à ses chefs, car en dépit des avances qui lui avaient déjà été consenties, cet agent aurait certainement pu bénéficier de facilités qui lui eussent évité de recourir aux malversations auxquelles il s’est livré”. Au fil des décennies, d’autres subterfuges, plus ou moins ingénieux, seront mis en oeuvre par des garçons de recettes en difficulté ou mal intentionnés. Chaque fois, la Direction Générale de la BNCI cherchera à en tirer un enseignement pour ajuster les procédures.

Pourtant, en dépit d’incidents semblables à ceux que nous avons évoqués, le métier de garçon de recettes continuera de supporter l’économie locale jusqu’aux années 1960, avant de disparaître progressivement. L’essor des moyens de paiement modernes comme les virements, et plus tard les cartes bancaires, rendra obsolètes les déplacements physiques pour les encaissements. Parallèlement, les services bancaires deviendront de plus en plus centralisés, nécessitant des transports de fonds plus importants, à l’instar des fourgons blindés que l’on connaît aujourd’hui.

Mais, si les garçons de recettes appartiennent désormais au passé, on se souviendra qu’ils ont incarné une époque où l’économie tangible reposait encore essentiellement sur des échanges directs, sur la confiance, le risque, et de longues marches à pied.

Lire également :

Un métier oublié, garçon de recettes