Financer le chemin de fer de Beyrouth-Damas
Depuis les années 1860, l’Empire ottoman perd une grande partie de ses territoires européens. Afin d’assurer sa cohésion, développer son économie et résister à la pression des puissances européennes, il tente de se moderniser. Au même moment, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France y développent des zones d’influence par le déploiement et la modernisation des voies de communication et de transport en vue de faciliter et accélérer les échanges commerciaux. L’objectif est de relier les régions bordant le Golfe persique à l’Europe et au bassin méditerranéen.
La modernisation de l’Empire ottoman sur fond de concurrence européenne
Ainsi, les Allemands construisent le chemin de fer Berlin-Bagdad entre 1903 et 1940, concession du Chemin de Fer de Bagdad (le Bagdadbahn), destiné à relier Konya (Turquie actuelle) et Bagdad (Irak actuel). La Grande-Bretagne, de son côté, présente dans l’Empire durant tout le XIXe siècle et l’un de ses principaux investisseurs, est depuis 1838 un partenaire commercial stratégique avec la signature d’un traité de libre-échange entre les deux pays. La France, quant à elle, participe, sous l’impulsion de la Banque ottomane, dont elle est un des actionnaires principaux avec l’appui des institutions bancaires nationales, aux premières initiatives de modernisation et de développement des transports au Liban et en Syrie, finançant et contrôlant les routes, des ports et des lignes de chemin de fer. Le chemin de fer Beyrouth-Damas en est un des projets phares.
Un chemin muletier
Au Moyen-Orient, la route de Beyrouth à Damas est bien connue : chemin muletier peu praticable pour les caravanes, elle relie les deux plus grands centres de la province de Syrie. D’une part, Beyrouth, grand port et seule place commerciale de la région, compte au début des années 1860 une population de 140 000 habitants, et d’autre part Damas, chef-lieu du vilayet de Syrie, entrepôt de toutes les productions de l’intérieur du pays, près de 200 000 habitants. Il fallait environ quatre jours pour parcourir les 108 kilomètres qui séparent les deux villes. Cette route carrossable est exploitée depuis 1857, pour une durée de 50 ans, par la Compagnie ottomane de la route de Beyrouth à Damas. Cette société, ottomane de nom, est en réalité française, dirigée par un ancien officier de la marine française, le comte Edmond de Perthuis.
Une ligne ferroviaire financée essentiellement par des capitaux français
La première ligne ferroviaire Beyrouth-Damas, longue de 147 km, qui relie le port de Beyrouth à Damas via Rayak, est construite en 1895 afin d’optimiser les échanges commerciaux entre les deux capitales, faisant du port de Beyrouth l’un des plus importants de la Méditerranée. Les travaux sont menés par la Société de construction des Batignolles, précédemment Ernest Gouin et Cie, dans le cadre d’une concession obtenue en 1891, à laquelle a pris part le Comptoir national d’escompte de Paris (CNEP).
La compagnie connaît par la suite plusieurs transformations de ses statuts : c’est d’abord la Société des chemins de fer ottomans économiques de Beyrouth-Damas-Hauran qui construit vers l’Est le chemin de fer du Hauran ; en 1901, à la demande du gouvernement turc, elle devient la Société ottomane du chemin de fer de Damas-Hamah et prolongements, et son siège est transféré à Constantinople. Bien que constituée comme société ottomane, le siège social de cette compagnie se trouve à Paris, son capital est français (le CNEP entre dans le groupe financier qui se porte garant de la viabilité financière du projet et prend part au syndicat d’obligations; La Banque de Paris et des Pays-Bas prend des participations en 1905 et 1909) et sa direction est entièrement française.
Ce même consortium construit le chemin de fer Damas-Hamah et prolongements (DHP) et s’étend jusqu’à Alep où il se raccorde au chemin de fer Berlin-Bagdad, le Bagdadbahn, financé par un groupe à dominante allemande. La voie ferrée projetée jusque Alep est assez restreinte (145 kilomètres), mais son importance économique est grande, compte tenu de la richesse de la région et de l’étendue du marché commercial de la ville. Le nouveau réseau offre des débouchés considérables à l’agriculture et aux produits manufacturés, mettant cette cité en communication avec la côte syrienne. Le but final est de relier Beyrouth à Damas afin de faciliter un accès direct de la Syrie à la mer via Beyrouth.
Le DHP devient français
À partir de 1920, la Banque de Paris et des Pays-Bas entre au capital de la Banque impériale ottomane. En juillet 1929, la société devient française avec le transfert de son siège social à Paris.
En 1939, l’exploitation des chemins de fer est confiée à l’Etat français, dans le cadre de son mandat et c’est désormais le Haut-commissariat de la République française en Syrie et au Liban, dont la résidence est à Beyrouth, qui gère le DHP. Durant la Seconde guerre mondiale, les activités de la société sont très perturbées et les traités régissant l’exploitation des chemins de fer sont suspendus, source plus tard des contentieux.
En décembre 1955, la société est rachetée par l’Etat syrien mettant ainsi fin à la concession des chemins de fer sur son territoire et à la renonciation de tous les droits concessionnels lui appartenant en territoire syrien.
Ce vaste programme de construction ferroviaire mis en œuvre avec le concours de la Banque impériale ottomane et de ses actionnaires, puis avec celui de la Banque de Syrie et du Liban, sa filiale, a ouvert la voie au développement économique de nouveaux territoires au Levant. Il répond ainsi au problème de faiblesse du transport terrestre et au retard économique de la région en général.
Pour en savoir plus : la Banque de Syrie et du Liban, bras financier de Paribas au Levant
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