Les banques ancêtres au Havre : financer la Reconstruction
La ville du Havre, détruite à 80% par les bombardements qu’elle subit durant la Seconde Guerre mondiale, est un symbole de l’ampleur des destructions, mais aussi de la rapidité de la Reconstruction. La ville portuaire, à l’architecture empreinte de tradition, laisse la place à un centre urbain repensé par l’architecte Auguste Perret. Son port, reconstruit et modernisé, connaît une nouvelle phase de développement durant la seconde moitié du XXe siècle. Les banques ancêtres du Groupe sont à la fois des actrices de la Reconstruction, mais sont aussi touchées par les destructions.
Le Havre, avant la Seconde Guerre mondiale : une ville portuaire à l’activité économique intense
Créée sous l’égide de François 1er, qui signe la charte de fondation de la ville en 1517, la ville du Havre est créée sur la rive droite de l’estuaire de la Seine. Cette fondation est avant tout celle d’un nouveau port, permettant de pallier l’ensablement et l’inadaptation de ports plus anciens, comme Rouen ou Honfleur. Il s’agit ainsi de faciliter l’approvisionnement de la capitale, Paris, tout en disposant d’une base militaire verrouillant l’accès à la Seine.
Base militaire, mais aussi chantier naval, port de pêche et point de départ de nombreuses expéditions vers les Amériques, de nombreux produits, comme le sucre et le café, sont importés depuis le port du Havre. La ville née dans le quartier Notre-Dame, se développe avec le quartier Saint-François, à l’architecture Renaissance conçue par Girolamo Bellarmato. C’est une cité moderne, à l’économie dynamique, qui sera toutefois marquée par les guerres de religion. Le port est modernisé au XVIIe siècle, et devient un pôle de l’économie moderne ; la Compagnie des Indes s’y établit ainsi dans les années 1640. Le commerce de produits exotiques se développe, et le port devient également une étape du commerce triangulaire français. De la guerre de Sept Ans à la Révolution française, la ville et le port sont impactés par les conflits successifs, de même que la guerre avec la Grande-Bretagne sous l’Empire, qui freine le commerce portuaire.
Au XIXe siècle, la ville connaît un essor démographique important. La Chambre de commerce est créée en 1802, installée dans le bâtiment de la Bourse, construit en 1784. La seconde moitié du XIXe siècle est une période très prospère pour le port, qui se modernise en profondeur. En 1847, le chemin de fer arrive au Havre. Les magasins généraux sont achevés en 1860, suivant la construction des docks. Une première ligne de paquebots vers New York est créée en 1831, marquant le début des voyages transatlantiques. En 1896, la ville compte 119 500 habitants. Le port est le point d’entrée de marchandises comme le coton ou le café.

En 1914, le Havre est le premier port d’Europe importateur de café !

« Devant la place de la Bourse, Roland contempla, comme il le faisait chaque jour, le bassin du Commerce, plein de navires, prolongé par d’autres bassins, où les grosses coques, ventre à terre, se touchaient sur cinq ou six rangs. Tous les mâts innombrables, sur une étendue de plusieurs kilomètres de quais, tous les mâts avec les vergues, les flèches, les cordages, donnaient à cette ouverture au milieu de la ville l’aspect d’un bois mort. »
— Guy de Maupassant, Pierre et Jean, 1888
La Première Guerre mondiale épargne la ville, mais le bilan humain est lourd parmi les 25 000 Havrais partis au front. L’Entre-deux Guerres marque une période de ralentissement pour l’économie, amplifiée par l’impact de la crise de 1929. Les années 1930 voient également l’ouverture de la raffinerie pétrolière de Gonfreville l’Orcher en 1933, jalon dans la transformation des activités portuaires qui se tournent vers la pétrochimie après la Seconde Guerre mondiale.
En 1939, la ville dépasse les 160 000 habitants. Autour du centre historique, elle s’est étendue au point d’englober les villages qui l’entourent, devenues des quartiers de la ville, comme Granville, village rattaché au Havre en 1919.
La perspective d’un conflit fige le monde des affaires havrais. Premier port français en valeur et deuxième port français après Marseille en tonnage, les produits d’importations phares sont alors toujours le café, le cacao et autres produits venus de loin.
La Seconde Guerre mondiale
Le 19 mai 1940, un premier bombardement allemand touche la ville qui, dès juin 1940, est occupée par les troupes allemandes. La cité vit au rythme des réquisitions et rafles imposées par l’Occupation, et subit de nombreuses attaques aériennes alliées entre 1940 et 1944, le port étant un espace stratégique. En 1940-1941, les attaques aériennes menées par les Alliés visent principalement le port et ont pour objectif d’empêcher un débarquement allemand en Angleterre. À partir de 1942, elles visent à faire obstacle à la construction du mur de l’Atlantique, et se multiplient en 1943 avec la préparation du débarquement de juin 1944.
À l’issue de la bataille de Normandie le 21 août 1944, les alliés se tournent vers le port du Havre. Début septembre, l’évacuation est interrompue, et les bombardements déversent entre le 5 et le 10 septembre, environ 10 000 tonnes de bombes sur la ville, dont 1880 tonnes sur le centre historique. La ville est libérée le 12 septembre 1944. 10 000 immeubles sont détruits, 2000 doivent être abattus car trop endommagés. 2000 havrais perdent la vie au cours des bombardements.
À l’issue du conflit, le port et la ville sont méconnaissables, et les activités doivent reprendre alors que près de 80 000 Havrais sont sans abri.
La reconstruction est confiée par le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) à un architecte émérite, Auguste Perret, qui avec ses anciens élèves, crée un atelier pour répondre à ce qui sera l’un des chantiers les plus ambitieux de la Reconstruction en France : 10 000 logements, des immeubles de bureaux et de commerces, et la recréation d’un tissu urbain. La ville devient un véritable laboratoire de l’urbanisme moderne. Le tracé de ses axes principaux et l’emplacement de lieux emblématiques, comme l’Hôtel de ville, sont maintenus à leurs emplacements d’avant-guerre.
la Reconstruction et le MRU

Le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) est créé le 16 novembre 1944. Son action est multiple, et vise au déblaiement, au déminage et à la reconstruction, notamment des logements. Au sortir de la Seconde guerre mondiale, la France compte en effet 5 millions de personnes déclarées sinistrées et 2,5 millions de bâtiment détruits.
Les banques ancêtres du groupe, présentes au Havre, sont touchées très directement par le conflit. Elles sont aussi, pour certaines d’entre elles, impliquées dans la Reconstruction, dont elles participent au financement, notamment à travers les groupements de sinistrés.
Les banques ancêtres au Havre
L’agence du CNEP
Le Comptoir national d’escompte de Paris (CNEP) implante une agence au Havre en 1890. Au 2 rue de la Bourse – rebaptisée rue Jules Siegfried durant la première moitié du XXe siècle – à proximité de l’Hôtel de ville, l’agence est située au cœur de l’économie havraise.
Pour le CNEP, l’agence du Havre fait le lien avec son réseau international d’agences situées dans des pays exportateurs de matières premières importées en France via le port du Havre.
(Lire aussi : Le CNEP développe son réseau bancaire – BNP Paribas)

Sa localisation, avantageuse pour prendre part à la vie économique de la cité portuaire, la place au cœur de la zone bombardée par les Alliés en 1944. L’immeuble est entièrement détruit, tout comme les bâtiments emblématiques qui l’entourent, tels l’Hôtel de ville, et le Palais de la Bourse havrais, construit en 1880, dont il ne reste que des façades.
La reconstruction est un préalable à la poursuite de l’activité de l’agence, qui s’installe dans une agence provisoire. Toutefois, les dirigeants du CNEP doivent prendre en compte le changement de statut de la banque, nationalisée en 1946.
L’immeuble est reconstruit un peu plus loin, au 144 boulevard de Strasbourg. L’agence sera installée au sous-sol, rez de chaussée, 1er et deuxième étage. La procédure d’indemnisation pour des dommages de guerre est longue et complexe, d’autant que l’établissement rencontre plusieurs péripéties : au début des années 1950, on constate une erreur lors de l’estimation de la surface de l’agence sinistrée. L’activité nécessite également de prévoir, comme avant-guerre, deux logements de fonctions. Le nouvel appartement du directeur, situé avenue Foch, dont l’achat est entériné lors d’un Conseil d’Administration en 1953, ne dispose pas de chambre de service, il faut donc faire l’acquisition d’un petit logement supplémentaire.
Le projet de Perret présente également des incompatibilités avec l’image que souhaitent donner les dirigeants du CNEP. En 1955, la banque accorde un nouveau crédit pour répondre à différents besoins. Le revêtement de la façade prévu dans le projet d’ensemble est en effet en « gravillons lavés, agrégats d’éclats de ciments blancs et de gravillons » qui déplaisent aux dirigeants. L’architecte en charge du projet propose une façade en pierre de Chauvigny plus coûteuse, « de couleur plus claire et de belle apparence » et qui ne contrasterait pas avec « l’ornementation monumentale de la façade ».
La construction est lancée, et il faut ensuite meubler l’agence. Les coffres à destination de la clientèle sont installés en 1958, dans une ville encore en chantier. Un gardiennage par roulement, assuré par les employés de l’agence, est instauré afin d’assurer la sécurité des coffres et leur contenu. (Sources fonds CNEP, série immobilier 207AH177)
L’agence de la BNCI

La Banque Nationale de Commerce et d’Industrie (BNCI) dispose d’une succursale au Havre, comprenant la succursale, un bureau, ainsi qu’une agence à Fécamp. Les rapports d’inspection de la succursale sont élogieux, et font état de la compétence des employés, tant dans la gestion de la succursale que le maintien de relations avec les entrepreneurs et représentants de la vie économique havraise1.
Avant la BNCI, la Banque Nationale de Crédit (BNC) dispose d’une agence située au 97 boulevard de Strasbourg, auparavant dans le giron du Comptoir d’Escompte de Mulhouse (CEM), et qui joue un rôle important dans le financement du commerce du coton.
Lors du rapport présenté à l’Assemblée Générale en 1916, la BNC, créée en 1913, tire un bilan positif de ses premières années d’existence : « Toutes ou presque toutes nos succursales ont contribué à cette expansion, mais les circonstances ont favorisé particulièrement nos succursales de Paris, Lyon, Le Havre et Marseille (AGO du 12 avril 1948, 12AQ033). »
La BNC est également à l’origine de l’achat, entériné par le conseil d’administration du 24 décembre 1919, du bâtiment du 81 boulevard de Strasbourg, qui forme un îlot auparavant occupé par le Grand Hôtel Moderne, entre le boulevard de Strasbourg et le 16, rue Jules Lecesne.
Dotée d’une verrière et d’une façade ornée du nom « Banque Nationale de Crédit », la succursale, à l’architecture soignée, dispose d’une cour intérieure et de logements pour la Direction. Elle échappe aux bombardements de 1944 et témoigne également de l’architecture havraise d’avant-guerre. Construit en 1900, le bâtiment transformé en succursale par l’architecte André Houdaille, qui participera au projet de reconstruction mené par l’atelier Perret à l’après-guerre, conserve certains éléments les plus emblématiques de l’hôtel.
Après la liquidation de la BNC, la BNCI ajoute à cet ensemble l’agence Rond-Point en 1932, également épargnée par les bombardements.
En 1947, la succursale et ses agences comptent moins d’agents, l’aspect sommaire de l’agence Rond Point est même noté par la direction de la BNCI. Les immeubles havrais de la banque, relativement épargnés par les bombardements, permettent toutefois à la succursale de reprendre ses activités, dans une ville où tout est à reconstruire.
En 1966, le CNEP et la BNCI fusionnent pour donner naissance à la Banque Nationale de Paris (BNP). La succursale du Havre s’accroît : le bureau Havre-Rond Point est maintenu, ainsi que l’agence de Fécamp. Sont ajoutées l’agence de Bolbec, les bureaux permanents de Lillebonne, Harfleur et le Havre rue d’Etretat dans les années 1960. Le développement de la succursale se poursuit avec la création d’autres bureaux permanents dans les quartiers limitrophes du Havre au fil des décennies suivantes. L’adresse du siège restera jusqu’au début des années 2000 le 81 boulevard de Strasbourg (sources archives BNP, 52AH561)
La Banque de Paris et des Pays-Bas
La Banque de Paris et des Pays-Bas entretient des liens de longue date avec les entreprises havraises. Elle finance certaines d’entre elles comme les Tréfileries et laminoirs du Havre2, spécialisée dans le travail du cuivre et d’alliages, le port du Havre étant alors le premier port importateur de cuivre en provenance d’Amérique du Nord. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la Banque de Paris et des Pays-Bas mobilise son réseau institutionnel afin de se positionner comme banque chef de file pour la reconstruction du Havre, comprenant alors la ville, le port et différents groupements de sinistrés.
L’organisation de la Reconstruction se structure à partir de 1947 avec l’adoption du plan Monnet et les différentes lois de finance, qui cordonnent les efforts d’investissement et de relance de l’économie. Les banques vont jouer un rôle important dans le financement des différents secteurs, et vont prendre part à la Reconstruction qui est aussi une modernisation de l’économie3.
Chaque secteur ou groupement dispose d’un ou plusieurs établissements bancaires chefs de file. La Banque de Paris et des Pays Bas en 1948 se positionne comme chef de file sur la reconstruction du port du Havre.
Elle prend part également au financement de certains groupements de sinistrés, tel que le Groupement pour le financement de la reconstruction Immobilière du Havre en 1947. Dans une note datée du 2 décembre 1947, ses représentants expliquent la position de la banque : « la Banque de Paris et des Pays Bas – banque d’affaires – n’a pas une vocation particulière à s’occuper de la reconstruction immobilière, elle a tenu seulement à réserver ses droits quand, par suite de son activité ou des demandes qui lui avaient été faites, elle avait été amenée à initier la construction [de groupements de sinistrés] […] la Banque de Paris et des Pays Bas a vocation particulière, d’apporter son concours dans le domaine industriel ».
Lors de la reconstruction, la Banque de Paris et des Pays-Bas prend part au refinancement de l’économie mais en se focalisant sur l’industrie, conforte sa stratégie de banque d’affaires, et son positionnement international, qu’elle mettra en œuvre durant la seconde moitié du XXe siècle.
Le port du Havre
En 1944, le chantier de reconstruction du port du Havre est colossal. Plus de 80% des quais sont endommagés ou détruits, comme la plupart des engins, et les bassins sont encombrés de navires coulés. Le port, autonome depuis les décrets du 20 avril 1928 et du 25 octobre 1935, est autorisé à contracter un emprunt pour financer la reconstruction des installations, qui s’étale sur 20 ans.

Ressources pour aller plus loin :
La Reconstruction en Normandie et en Basse-Saxe après la seconde guerre mondiale – Chapitre 9. Le spectacle du logement ordinaire et la normalisation du quotidien dans les appartements-types de la reconstruction – Presses universitaires de Rouen et du Havre
André Corvisier (dir.), Histoire du Havre et de l’estuaire de la Seine, Toulouse, Privat, 1987
Armand Frémont, Mémoires d’un port, Paris, Arlea, 1997
Commémoration des 80 ans du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme
Photothèque du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme
Le Havre, patrimoine mondial – l’Hôtel de ville
Reconstruire le port du Havre (INA)
La Reconstruction en Normandie et en Basse-Saxe après la seconde guerre mondiale
- 255AH145 ↩︎
- financées également par la BNC et la Banque Française pour le Commerce et l’Industrie (BFCI) avec laquelle elle fusionne en 1922 ↩︎
- Financer la Reconstruction de la France – Leçon 12 – Institut de la gestion publique et du développement économique ↩︎