Un billet de nécessité de 1871 du Comptoir d’escompte de Paris
La période napoléonienne dote la France d’institutions financières solides et stables dès le début du XIXe siècle. Créée en 1800, la Banque de France est l’une d’elles. Son privilège d’émission de monnaie et d’impression des billets, régional au départ, devient national et exclusif en 1848. Mais les périodes troublées de l’histoire provoquent la désorganisation de l’économie et des circuits de paiement. C’est ainsi qu’organismes publics ou privés émettent, de façon temporaire, des « bons de nécessité » ou billets de nécessité. Ces moyens de paiement, généralement de petite valeur, visent à remédier à la situation de pénurie monétaire.
La France en 1870
La guerre de 1870 contre la Prusse déclenche une succession d’événements exceptionnels en France : chute de Napoléon III, occupation d’une partie de la France, naissance de la IIIe République et soulèvement de la Commune de Paris.
Les espèces métalliques sont rapidement thésaurisées et disparaissent de la circulation dès la fin de l’été 1870. Le gouvernement se décide, à titre exceptionnel, à mener une opération d’émission de « bons de nécessité ». Cette opération porte le nom en 1871 de « bons de circulation », une émission temporaire de billets qui doit remédier à l’insuffisance de petite monnaie métallique.
Or la Banque de France, qui avait déjà ouvert des succursales avec des ateliers d’émission en province dès juillet 1870 et évacué ses fonds vers Brest, Nantes puis Bayonne en septembre en prévision d’une possible invasion du pays, décide de ne pas offrir sa garantie à cette opération.
Le gouvernement de la Défense nationale confie alors au préfet du Nord la mission d’organiser la production de ces monnaies de nécessité. Il est en effet nécessaire que les employeurs et les industriels puissent payer leur personnel et que les achats courants puissent s’effectuer.
Divers organismes locaux, dont des communes et des établissements industriels, voire de simples commerces, sont autorisés à émettre du papier monnaie sous diverses formes. Dans Paris assiégé, c’est la Société générale et le Comptoir d’escompte de Paris, représentant le syndicat des banques, qui émettent ces billets de nécessité.
Tandis que la Société générale procède à une émission spéciale, le Comptoir d’escompte de Paris, sur la demande des chambres syndicales du commerce et de l’industrie et avec l’assentiment de l’administration des finances, se charge d’émettre des bons pour le compte de neuf établissements, dont le Crédit foncier, le Crédit agricole, le Crédit lyonnais, la Banque de Paris et la Banque des Pays-Bas.
Du billet de nécessité de 1871 à la naissance du billet de 5 francs
L’impression à l’encre bleue pour contrer la contrefaçon
Jusqu’en 1862, l’impression des billets se faisait à l’encre noire, la seule dont on connaisse parfaitement la composition. Mais suite à la découverte de la photographie, de faux billets de 100 francs, réalisés par reproduction photographique, comment à circuler à Lyon dès 1850.
Bien que le faussaire ait été démasqué, l’émoi suscité conduit la Banque de France, préoccupée par la sécurité de la circulation fiduciaire, à apporter de nombreuses modifications à ses billets.
C’est ainsi qu’à partir de 1862, les billets sont imprimés avec une encre bleue provenant de la manufacture royale de Schneeberg en Saxe. Le bleu est la couleur la moins photogénique qu’on ait pu isoler.
Recto vs verso
Au même moment, le verso devient différent du recto afin de faire obstacle à la reproduction photographique par transparence. L’impression à l’identique est définitivement abandonnée. La période bleue est aussi marquée par la diminution de la valeur des billets qui se « démocratisent ». Par exemple, le billet de 5 francs type 1871 représente 15 heures de travail d’un ouvrier spécialisé.
La naissance du billet de 5 francs
La naissance du billet de 5 francs est le résultat direct des troubles des années 1870-1871. Suite à la défaite française, le paiement de l’indemnité de guerre à l’Allemagne vide les coffres, l’or est recherché et la pièce de 5 francs disparaît de la circulation.
La coupure, de dimension réduite, est dessinée par l’artiste peintre Charles Camille Chazal (1825-1875), frère de Léon Chazal. Ce dernier était contrôleur à la Banque de France et c’est par son intermédiaire que Camille Chazal obtient la commande de plusieurs billets de banque, dont celui de 5 francs.
Au recto, une femme vêtue à l’antique, debout sur un socle portant le chiffre 5. Au centre, deux signatures, apposées mécaniquement depuis 1862, celle du Secrétaire Général et de l’Administrateur délégué.
Le verso représente, sur un fond d’ornements, un groupe de figures allégoriques.
Les peines encourues par les contrefacteurs sont reproduites au recto et au verso, preuve de la crainte qu’inspire la « démocratisation » du billet de banque. Depuis 1832, les contrefacteurs encourent une peine de travaux forcés à perpétuité.
Le 29 décembre 1871, la Banque de France accepte officiellement d’émettre des billets de 5 francs pour remplacer les « bons de monnaie » émis pendant le conflit. Elle contribue ainsi à assainir la situation monétaire à partir de février 1872, en attendant la réapparition des pièces métalliques conservées dans les bas de laine. Ces bons de nécessité vont progressivement disparaître de la circulation. La loi du 29 décembre interdit à présent toute nouvelle émission de monnaies de nécessité. Elle octroie par ailleurs un délai de 6 mois pour les échanger.
Les monnaies de nécessité avant 1870
La conception de la « monnaie de nécessité » remonte à l’Antiquité. On la trouvait déjà à l’époque romaine, aux côtés des émissions impériales.
À la fin du XVIIe siècle, la monnaie de nécessité tend à se confondre avec la proto-monnaie officielle d’un pays. Les conditions économiques et politiques ne sont pas encore stabilisées : l’offre de l’institut monétaire est suppléée par différentes initiatives privées.
La monnaie de carte apparaît en Nouvelle-France, dès 1685, sous Louis XIV. Cette monnaie de nécessité consiste à déclarer cours légal des cartes à jouer afin de pallier l’absence de numéraire métallique.
En Suède, entre 1715 et 1719, le gouvernement frappe 42 millions de pièce de 1 daler. Ce sont des pièces en cuivre, et non en argent. Qualifiées de nödmynt (« monnaie d’urgence ») et garanties par les autorités, elles permettent à l’État suédois de conserver l’argent métal durant la Grande guerre du Nord.
Durant la Révolution, en France, parallèlement à l’émission des assignats, fleurissent des monnaies de nécessité comme les « monnerons » et les « bons de confiance ».
La monnaie de nécessité est apparue dans de nombreux pays sous différentes appellations:
- Notgeld en Allemagne ;
- moneda de necesidad en Espagne (notamment pendant la Guerre civile espagnole) ;
- necessity money, emergency money ou token pour le Royaume-Uni (en 1798, par exemple, lors de la grande pénurie monétaire)
En France, cette monnaie a circulé à différentes époques, sous diverses appellations :
- monnaie, billet ou bon de confiance (Révolution française entre 1790 et 1793) ;
- monnaie de siège ou obsidionale (par exemple durant les sièges d’Anvers et de Strasbourg sous Napoléon Ier) ;
- bon de circulation (durant le siège de Paris en 1870) ;
- bons et jetons de nécessité des chambres de commerce (1914 – 1927).
On la trouve aussi parfois appelée jeton-monnaie, monnaie locale, monnaie privée ou monnaie parallèle.
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