Un billet de nécessité de 1871 du Comptoir d’escompte de Paris

Temps de lecture : 12min Nombre de likes : 1 likes Mise à jour le : 16 Déc 2022
Billet de nécessité émis par le Comptoir d'escompte de Paris en 1871 - Archives historiques BNP Paribas

Billet de nécessité émis par le Comptoir d'escompte de Paris en 1871 - Archives historiques BNP Paribas

La période napoléonienne dote la France d’institutions financières solides et stables depuis le début du XIXe siècle. Créée en 1800, la Banque de France est l’une d’elles : son privilège d’émission de monnaie et d’impression des billets, régional au départ, devient national et exclusif en 1848. Mais les périodes troublées de l’histoire provoquent la désorganisation de l’économie et des circuits de paiement, amenant un organisme public ou privé à émettre, de façon temporaire, des « bons de nécessité », moyens de paiement généralement de petite valeur, qui visent à remédier à la situation de pénurie monétaire.

La France en 1870

“Grande procession, 10 April 1871, commémoration du traité de paix entre la France et l’Allemagne NYPL, Collection de photographies, 1859-1899
“Grande procession », 10 April 1871, commémoration du traité de paix entre la France et l’Allemagne NYPL, Collection de photographies, 1859-1899

La guerre de 1870 contre la Prusse déclenche une succession d’événements exceptionnels en France : chute de Napoléon III, occupation d’une partie de la France, naissance de la IIIe République et soulèvement de la Commune de Paris. Les espèces métalliques sont rapidement thésaurisées et disparaissent de la circulation dès la fin de l’été 1870. Le gouvernement se décide, à titre exceptionnel, à mener une opération d’émission de « bons de nécessité », portant le nom en 1871 de « bons de circulation », une émission temporaire de billets pour remédier à l’insuffisance de petite monnaie métallique.

Or la Banque de France, qui avait déjà ouvert des succursales avec des ateliers d’émission en province dès juillet 1870 et évacué ses fonds vers Brest, Nantes puis Bayonne en septembre en prévision d’une possible invasion du pays, décide de ne pas offrir sa garantie à cette opération.

Le gouvernement de la Défense nationale confie alors au préfet du Nord la mission d’organiser la production de ces monnaies de nécessité, afin que les employeurs et les industriels puissent payer leur personnel et que les achats courants puissent s’effectuer. Divers organismes locaux, dont des communes et des établissements industriels, voire de simples commerces, sont autorisés à émettre du papier monnaie sous diverses formes. Dans Paris assiégé, c’est la Société générale et le Comptoir d’escompte de Paris, représentant le syndicat des banques, qui émettent ces billets de nécessité.

Si la Société générale procède à une émission spéciale, le Comptoir d’escompte de Paris, quant à lui, sur la demande des chambres syndicales du commerce et de l’industrie, et avec l’assentiment de l’administration des finances, se charge d’émettre des bons pour le compte de neuf établissements, dont le Crédit foncier, le Crédit agricole, le Crédit lyonnais, la Banque de Paris et la Banque des Pays-Bas.

Siège du Comptoir d’escompte de Paris, 1883, Archives historiques BNP Paribas
Siège du Comptoir d’escompte de Paris, 1883, Archives historiques BNP Paribas

Du billet de nécessité de 1871 à la naissance du billet de 5 francs

Louis Jacques Mandé Daguerre, inventeur de la photographie, New York Public Library Digital collections
Louis Jacques Mandé Daguerre, inventeur de la photographie, New York Public Library Digital collections

L’impression à l’encre bleue pour contrer la contrefaçon

Jusqu’en 1862, l’impression des billets se faisait à l’encre noire, la seule dont on connaisse parfaitement la composition. Mais suite à la découverte de la photographie, dès 1850 sont signalés à Lyon de faux billets de 100 francs réalisés par reproduction photographique. Si on a réussi  à démasquer le faussaire, l’émoi suscité a conduit la Banque de France, préoccupée par la sécurité de la circulation fiduciaire, à apporter de nombreuses modifications à ses billets. C’est ainsi qu’à partir de 1862 les billets sont imprimés avec une encre bleue provenant de la manufacture royale de Schneeberg en Saxe, le bleu étant la couleur la moins photogénique qu’on ait pu isoler.

Recto vs verso

Au même moment, le verso devient différent du recto afin de faire obstacle à la reproduction photographique par transparence (l’impression à l’identique est définitivement abandonnée). La période bleue est aussi marquée par la diminution de la valeur des billets qui vont se «démocratiser », par exemple le billet de 5 francs type 1871 représente 15 heures de travail d’un ouvrier spécialisé.

La naissance du billet de 5 francs

La naissance du billet de 5 francs est le résultat direct des troubles des années 1870-1871. Suite à la défaite française, le paiement de l’indemnité de guerre à l’Allemagne vide les coffres, l’or est recherché et la pièce de 5 francs disparaît de la circulation.

La coupure, de dimension réduite, est dessinée par l’artiste peintre Charles Camille Chazal (1825-1875), frère de Léon Chazal. Ce dernier était contrôleur à la Banque de France et c’est par son intermédiaire que Camille Chazal obtient la commande de plusieurs billets de banque, dont celui de 5 francs.

Au recto, une femme vêtue à l’antique, debout sur un socle portant le chiffre 5. Au centre, deux signatures, apposées mécaniquement depuis 1862, celle du Secrétaire Général et de l’Administrateur délégué.

Billet de nécessité émis par le CNEP, novembre 1871, Archives historiques BNP Paribas
Billet de nécessité émis par le CNEP, novembre 1871, Archives historiques BNP Paribas

Le verso représente, sur un fond d’ornements, un groupe de figures allégoriques.

Billet de nécessité émis par le CEP, verso, novembre 1871, Archives historiques BNP Paribas
Billet de nécessité émis par le CEP, verso, novembre 1871, Archives historiques BNP Paribas

Les peines encourues par les contrefacteurs sont reproduites au recto et au verso, preuve de la crainte qu’inspire la « démocratisation » du billet de banque. Depuis 1832, les contrefacteurs encourent une peine de travaux forcés à perpétuité.

Le 29 décembre 1871, en acceptant officiellement d’émettre des billets de 5 francs pour remplacer les « bons de monnaie » émis pendant le conflit, la Banque de France va contribuer à assainir la situation monétaire à partir de février 1872 en attendant la réapparition des pièces métalliques conservées dans les bas de laine. Ces bons de nécessité vont progressivement disparaître de la circulation, la loi du 29 décembre interdisant toute nouvelle émission de monnaies de nécessité et octroyant un délai de 6 mois pour les échanger.

Pour en savoir plus

La conception de la « monnaie de nécessité » remonte à l’Antiquité. On la trouvait déjà à l’époque romaine, aux côtés des émissions impériales.

A la fin du XVIIe siècle, on voit apparaître une monnaie de nécessité qui tend à se confondre avec la proto-monnaie officielle d’un pays, dont les conditions économiques et politiques ne sont pas encore stabilisées : l’offre de l’institut monétaire est suppléée par différentes initiatives privées.

  • Dès 1685, sous Louis XIV, est créée la monnaie de carte en Nouvelle-France, qui consistait à déclarer cours légal des cartes à jouer afin de pallier l’absence de numéraire métallique.
  • En Suède, entre 1715 et 1719, 42 millions de pièce de 1 daler sont frappées par le gouvernement non pas en argent mais en cuivre. Qualifiées de nödmynt (« monnaie d’urgence ») et garanties par les autorités, elles permettent à l’État suédois de conserver l’argent métal durant la Grande guerre du Nord.
  • Durant la Révolution, en France, parallèlement à l’émission des assignats, fleurissent des monnaies de nécessité comme les « monnerons » et les « bons de confiance ».
L’homme aux assignats, 1790, Bibliothèque du Congrès
L’homme aux assignats, 1790, Bibliothèque du Congrès
Papiers monnoies et autres de la République française, gravure de Joseph Hunin, ca. 1796, Bibliothèque du Congrès
Papiers monnoies et autres de la République française, gravure de Joseph Hunin, ca. 1796, Bibliothèque du Congrès


La monnaie de nécessité est apparue dans de nombreux pays sous différentes appellations:

  • Notgeld en Allemagne ;
  • moneda de necesidad en Espagne (notamment pendant la Guerre civile espagnole) ;
  • necessity money, emergency money ou token pour le Royaume-Uni (en 1798, par exemple, lors de la grande pénurie monétaire)
1850 and Napoleon Sarony. Treasury Note. Robinson Henry R., United States, 1837. Bibliothèque du Congrès
1850 and Napoleon Sarony. Treasury Note. Robinson Henry R., United States, 1837. Bibliothèque du Congrès

En France, il en a circulé à différentes époques, sous diverses appellations :

  • monnaie, billet ou bon de confiance (Révolution française entre 1790 et 1793) ;
  • monnaie de siège ou obsidionale (par exemple durant les sièges d’Anvers et de Strasbourg sous Napoléon Ier) ;
  • bon de circulation (durant le siège de Paris en 1870) ;
  • bons et jetons de nécessité des chambres de commerce (1914 – 1927).

On la trouve aussi parfois appelée jeton-monnaie, monnaie locale, monnaie privée ou monnaie parallèle.

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