Le Comptoir national d’escompte de Paris : la banque des libraires ?

Temps de lecture : 8min Nombre de likes : 3 likes Mise à jour le : 16 Déc 2022
Pavillon principal du siège du CNEP au 14 rue Bergère à Paris, vers 1882 - Archives historiques BNP Paribas - cliché du Studio Chevojon

Pavillon principal du siège du CNEP au 14 rue Bergère à Paris, vers 1882 - Archives historiques BNP Paribas - cliché du Studio Chevojon

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En 1848, la Monarchie de Juillet est plus qu’essoufflée : elle est usée par de fortes tensions politiques, sociales et économiques. Les nombreuses faillites de banques créent un sentiment de défiance et l’accès au crédit est bloqué. Afin de relancer l’activité commerciale, l’idée, déjà émise lors de la révolution de 1830, est de créer des comptoirs d’escompte dont la seule mission serait de pratiquer l’escompte de traites commerciales. Au lendemain de la révolution de février 1848, des libraires, tous républicains, s’impliquent dans la création du Comptoir national d’escompte de Paris (CNEP).

Au tournant de la Révolution

En début d’année 1848, le pays va mal. La mauvaise récolte de blé de l’été 1846 engendre une grave pénurie et une hausse des prix, qui met à mal une classe ouvrière déjà touchée par la paupérisation. Pour pallier ce manque, du blé est importé de Russie mais ces dépenses pèsent lourdement sur les réserves de la Banque de France. Depuis 1844, de nombreux particuliers et entreprises ont en outre investi dans des émissions de titres de compagnies ferroviaires étrangères, réduisant d’autant l’épargne mobilisable dont l’économie française a besoin. Entre 1846 et 1848, 829 établissements bancaires, souvent de faible envergure, font faillite.
Les opposants républicains de Louis-Philippe, « roi des Français » depuis 1830, s’appuient sur ce contexte difficile pour asseoir leur mouvement. Des émeutes éclatent en province puis dans la capitale, où le peuple de Paris se soulève à la suite de fusillades. Le 24 février 1848, Alphonse de Lamartine proclame la Seconde République et le soir-même, un gouvernement provisoire est formé. Le 4 mars, Louis-Antoine Garnier-Pagès est nommé ministre des Finances. L’une de ses mesures pour redresser la situation économique désastreuse du pays, endetté et figé, est la création d’établissements spécialisés dans l’escompte. Il faut agir vite et se passer, dans un premier temps, des banquiers enlisés dans leurs difficultés. A Paris, des libraires, éditeurs et politiques donnent l’impulsion nécessaire à ce projet.

Les hommes de la situation

Le ministre des Finances fait appel à son cercle proche pour bâtir les fondements des comptoirs d’escompte, dont celui de Paris : son secrétaire d’Etat Eugène Duclerc et surtout Antoine-Laurent Pagnerre, libraire éditeur à Paris depuis 1824 et secrétaire général du gouvernement provisoire. Tous trois ont forgé leur amitié dans leur combat républicain. Pagnerre a d’ailleurs publié en 1842 une « Histoire politique et financière depuis Henri IV jusqu’à nos jours », écrite par Garnier-Pagès et Duclerc.
Dès le 7 mars 1848, Garnier-Pagès crée 69 comptoirs d’escompte dans les plus grandes villes françaises. Ces comptoirs sont complétés par des sous-comptoirs spécialisés par branches industrielles et par des magasins généraux abritant les marchandises mises en gage. Le 8 mars 1848, le Comptoir national d’escompte de Paris (CNEP) est créé. Garnier-Pagès, Duclerc et Pagnerre ont été rejoints par le journaliste et homme politique Armand Marrast, mais aussi par une cohorte de libraires éditeurs : Louis Hachette, Langlois, Charles Gosselin, Ambroise Firmin-Didot ainsi que le fondeur de caractères Hippolyte Biesta. Car le métier d’éditeur et libraire subit directement les insuffisances du système de crédit français : il nécessite une immobilisation de capitaux pour fabriquer les livres, avant même leur mise en vente. La création d’un comptoir d’escompte a fait l’objet d’un débat au Cercle de la librairie dès le 29 février 1848 et les membres se sont déclarés favorables à ce projet, soutenu par Pagnerre.

Antoine-Laurent Pagnerre, Mars 1848 – Archives historiques BNP Paribas
Antoine-Laurent Pagnerre, Mars 1848 – Archives historiques BNP Paribas

Pagnerre, au carrefour des pouvoirs

Les libraires et éditeurs ne sont pas les seuls concernés de près par le crédit. D’autres corps de métiers parisiens ont besoin d’escompter les traites commerciales. Mais la révolution de 1848 est une période charnière. Pour ces grands commerçants du livre, qui ont une claire vision de la situation et une proximité avec le pouvoir, elle cristallise la volonté d’avancer avec efficacité sur le sujet économique. Laurent-Antoine Pagnerre, nommé adjoint au maire de Paris en février 1848 et présent au gouvernement provisoire, est un homme d’influence dans l’édition comme en politique. Il a fondé le Comptoir central de la librairie en 1840 et le Cercle de la librairie en 1847. De toute évidence, ses idées innovantes ont été de la première importance dans la création du Comptoir national d’escompte de Paris, dont il prend la tête brièvement à ses débuts – avant de céder la place à Hippolyte Biesta, secondé par le banquier Alphonse Pinard.

Au fil des années, le CNEP démontre son utilité. Le nouvel établissement, né d’une révolution, prendra une place croissante dans le secteur bancaire français en devenant dès 1860 une banque de financement du commerce international. Les éditeurs de Lamartine, de la Comtesse de Ségur, Girault de Saint-Fargeau et Louis Blanc ont ainsi fait œuvre commune pour servir leurs intérêts, en concordance avec ceux du pays.
Fidèle à son histoire, BNP Paribas est aujourd’hui encore la principale banque des éditeurs.

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