Un ingénieur alpiniste chez Paribas : Louis Wibratte
Polytechnicien (1897), ingénieur des Ponts et Chaussées, croix de guerre 1914-1918 et 1939-1945, commandeur de la légion d’Honneur (1949) : ces distinctions officielles contrastent avec le personnage modeste et discret de Louis Wibratte.
Un homme de progrès
Reçu 1er au concours de l’École normale supérieure à l’âge de 19 ans, c’est sans doute par goût de l’aventure et de la vie active que Louis Wibratte choisit l’École polytechnique, qui lui ouvrait ses portes au même moment.
On le retrouve quelques années plus tard dans l’entourage du maréchal Lyautey au Maroc, où il construit en 18 mois, avec les moyens du bord et peu d’études, le chemin de fer d’Ain-Sefra à Colomb-Béchar. Son ingéniosité et son dévouement sont reconnus par l’octroi de la légion d’Honneur, à 29 ans seulement.
De retour en métropole, il entre à mi-temps au service des voies navigables du Nord et du Pas-de-Calais et se lance dans des études de médecine à la faculté de Lille. Il continue ensuite sa carrière aux Chemins de fer de l’Etat.
A la déclaration de guerre, le 4 août 1914, Louis Wibratte est ingénieur-conseil au sein de la compagnie du chemin de fer du Chili. Il embarque pour l’Europe et rejoint le service des chemins de fer de l’Armée d’Orient. Avant la fin du conflit, il est rappelé en Amérique du Sud pour sauver de la faillite la Brazil Railway Co., l’une des plus importantes compagnies brésiliennes, dont Paribas était actionnaire majoritaire.
Fondateur du futur département industriel de Paribas
C’est donc assez naturellement que Wibratte entre au sein de l’état-major de la banque, en 1920. Dans le prolongement de l’effort mené avant la guerre, la banque infléchit sa stratégie vers le secteur secondaire. À la demande d’Horace Finaly, le nouveau directeur rédige en 1922 une note intitulée Les réflexions d’un banquier sur la situation économique du monde à l’époque de la conférence de Gênes, véritable programme de reconstruction économique au sein des forces de l’Entente (texte publié par Éric Bussière dans Etudes et documents, X, 1998, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, p. 259-276).
En remède à l’inflation et à l’endettement du pays, Louis Wibratte prescrit la concentration, la spécialisation, la division du travail et le contrôle scientifique, associés au développement de l’enseignement technique et à la protection de l’innovation. Il s’agit de permettre à l’État et aux chefs d’entreprise français d’augmenter l’exportation des produits industriels pour contrebalancer la puissance de l’Allemagne.
A partir des années 1940, Wibratte se consacre à l’électrification du Maroc, mettant à nouveau à profit ses connaissances d’ingénieur et de financier pour surmonter les difficultés économiques et techniques.
Au sommet de la Banque de Paris et des Pays-Bas
En 1944, le Gouvernement provisoire de la France place Wibratte à la tête de la Banque de Paris et des Pays-Bas. Sous son mandat et grâce à son statut de banque d’affaires, Paribas échappe à la vague de nationalisation qui touche les grandes banques de dépôts. Dès septembre, le nouveau président produit un programme de réformes économiques, qui reste d’actualité dix ans plus tard.
Président effacé voire timide, admiré pour sa sagesse et sa largeur de vues, Louis Wibratte a toujours associé l’activité sportive aux lourdes responsabilités dont il avait la charge.
Déjà en 1914 au Chili, il avait traversé la Cordillère des Andes en raquettes, en plein hiver austral, pour rejoindre le front. A l’occasion de ses voyages d’affaires pour la société norvégienne de l’Azote et de Forces Hydro-électriques (dont il était le vice-président), il explore la Norvège septentrionale et les Îles Lofoten. Passé 50 ans, rejoint le Groupe de Haute Montagne. Quand il ne s’entraîne pas sur les rochers de Fontainebleau, il parcourt les Alpes, de l’Oisans à l’Oberland en passant par les Dolomites, et au moment de quitter la banque, c’est à un souvenir d’alpiniste qu’il compare sa carrière :
Quand on descend de la rude montagne dans la verte vallée, on vit encore avec émotion les impressions du bel effort de la montée avec de bons camarades et aussi la claire vision des lointains où s’opposent les ombres et la lumière.
(Louis Wibratte, discours de départ en retraite, 26 novembre 1949).
Animé d’un idéal de rationalité, de progrès et d’une certaine recherche de dépouillement matériel, Louis Wibratte n’écoute ni la faim ni la douleur physique, jusqu’à ce matin d’été où la mort le surprend, la semaine précédant ses 78 ans.
Partager cette page