Caricature évoquant le recensement monétaire ordonné par le gouvernement belge - Archives historiques de BNP Paribas Fortis
Début septembre 1944, alors que les armées alliées progressent à toute vitesse à travers la Belgique, un inspecteur de la Banque de la Société Générale de Belgique remonte les files de chars américains à bord d’une camionnette. Objectif : se rendre dans les territoires libérés pour communiquer les consignes concoctées par le gouvernement belge à Londres. Il y va de la stabilité financière du pays.
La Belgique à l’heure de la Libération
Siège de la Banque de la Société Générale de Belgique à Courtrai, pulvérisé par la chute d’un avion en juillet 1944 dans le cadre de l’offensive Alliée en Europe de l’Ouest – Archives historiques de BNP Paribas Fortis
Août 1944. Alors que Paris est libérée par ses résistants internes et la 2ème DB du Général Leclerc, les troupes américaines et britanno-canadiennes foncent vers le Rhin. Sur leur route : la Belgique, qu’elles atteignent le 2 septembre et pénètrent dans le hameau du Cendron (aujourd’hui commune de Momignies dans le Hainaut). Après différents combats, Bruxelles est libérée le 3 septembre par les Britanniques et la Brigade Piron (l’équivalent belge de la Brigade Kieffer) ; le 4, les Canadiens prennent la ville puis le port d’Anvers, avec l’appui de la Résistance belge (la Brigade blanche-de Witte brigade) ; le 7, les Américains sont à Liège et font leur jonction avec les troupes françaises arrivées de Provence où elles ont débarqué le 15 août.
Sur un plan politique, la situation est confuse : le Roi Léopold III, prisonnier au Palais de Laeken avec sa famille, est emmené en Allemagne. Le gouvernement Pierlot est toujours à Londres. Devant l’urgence des mesures économiques à prendre pour le pays, il est décidé de finaliser les premières lois depuis la capitale britannique et de les annoncer à la BBC. Elles sont promulguées au Moniteur Belge et envoyées par avion à Bruxelles. La Banque de la Société Générale de Belgique va les mettre immédiatement en application.
Londres, le 4 septembre 1944, au siège de la BBC
Le ministre des Finances du gouvernement belge en exil, Camille Gutt, prononce un discours à l’intention de ses concitoyens. La matière est aride mais capitale pour l’avenir de la Belgique. Le ministre résume six arrêtés-lois préparés de longue date et dont l’avance foudroyante des armées alliées en Belgique rend la promulgation urgente. Il s’agit de geler la circulation monétaire, de « maintenir les choses en l’état jusqu’au moment où seront prises les dispositions consécutives à la libération complète du pays » pour empêcher les profiteurs de guerre d’échapper à la rigueur des mesures dont ils doivent être l’objet.
Éviter à tout prix que les déposants vident leurs comptes
Gutt entend interdire toute opération sur des monnaies mises en circulation par l’ennemi sur le territoire du Royaume et préparer le retrait de ces monnaies. Les billets de banque étrangers en circulation en Belgique seront recensés. Un autre arrêté-loi limite drastiquement les retraits de fonds sur dépôts en compte. Il faut, explique le ministre, éviter que les déposants se ruent vers les banques pour vider leurs comptes. En réalité, le gouvernement a décidé une compression drastique de la masse monétaire mais ne divulgue pas son plan de peur de provoquer des mouvements de fonds inconsidérés dans les zones non encore libérées.
Pour donner le change, Gutt minimise la portée des mesures prises et les déclare provisoires :
« Elles ne vous gêneront guère. Quand la vermine a passé dans une maison et qu’on désinfecte, on attrape quelquefois l’une ou l’autre bouffée de fumée dans le nez ; on s’en console en se disant que la vermine est partie ».
— Camille Gutt
La Banque s’engage contre la fraude
Le 5 septembre, une édition du Moniteur est préparée à Londres avec le texte des six arrêtés-lois. Quelques exemplaires en sont expédiés par avion vers Bruxelles, libérée deux jours avant. Mais avant même que le détail des dispositions gouvernementales soit diffusé en Belgique, la direction de la Banque de la Société Générale de Belgique à Bruxelles a été invitée par les autorités à diffuser d’urgence dans son réseau de provinces les consignes que devront suivre les agences, au fur et à mesure de la Libération du territoire.
Dès le matin du mardi 5 septembre, une circulaire est préparée à la hâte pour définir les modalités de la reprise des opérations. La direction de la banque y explique que les versements en comptes-courants doivent être refusés jusqu’à nouvel ordre, que les retraits sur comptes clients sont limités à 2.000 francs par semaine, sauf cas particuliers comme le versement de salaires à des tiers, et que les achats et ventes de valeurs mobilières sont suspendus.
Bref, les avoirs de la population doivent autant que possible être gelés…
Que signifie FLY-TOX ?
L’opération tire son nom d’un pulvérisateur insecticide de marque française, très répandu en Belgique dès les années 1920 et jusque dans les années 1959. Comme le ministre Gutt compare l’Occupant et les profiteurs de guerre à de la vermine, les mesures prises par la Banque sont assimilées à une opération de désinfection.