L’escompte : la formule de crédit court terme qui a longtemps financé l’économie française
BNP Paribas est l’héritier du Comptoir national d’escompte de Paris (CNEP). Ce dernier tient son nom d’une activité longtemps essentielle au financement de l’économie. L’historien Patrice Baubeau explique ce qu’est l’escompte et comment il s’est développé en France du XIXe siècle jusqu’aux années 1960.
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Qu’est-ce que l’escompte ?
Si une banque est une tour, on peut dire que l’escompte, c’est le premier étage, et les guichets, l’accueil des clients, ce serait le rez-de-chaussée. Les clients viennent de l’extérieur, et l’escompte aussi. L’escompte nait de l’opération économique. Quand un fournisseur vend un produit à un client, ce client ne peut pas toujours payer tout de suite et le fournisseur a besoin de vendre. Donc il offre un crédit à son client. Mais au bout d’un moment, le fournisseur peut avoir besoin de ces fonds. Comment faire ? Il ne peut pas attendre que la lettre de change que lui a remis son client vienne à échéance. Dans ces cas-là, il s’adresse à un banquer qui va lui acheter, lui escompter cette lettre de change. L’escompte, c’est ça. C’est quelque chose qui se développe au Moyen Age, et à partir du XVIIIe siècle, ce sont de grandes entreprises, des marchands banquiers, une des origines de la banque moderne, qui se livrent à ce commerce. L’avantage des banques par rapport à des petits escompteurs, c’est qu’ils font l’escompte en grand : elles achètent des milliers, des dizaines, des centaines de milliers d’effets de commerce. En faisant ça, elles sont plus efficaces, elles répartissent leur risque et elles sont capables de faire l’escompte à un taux d’intérêt relativement faible.
De quand date le développement de l’escompte ?
Le développement de l’escompte en France commence vraiment en 1776 avec la création de la caisse d’escompte. Tout est interrompu par la Révolution et reprend avec la Banque de France à partir de 1800. Le XIXe siècle, c’est le grand siècle de l’escompte. On voit une augmentation des effets escomptés, de plus en plus d’entreprises qui y recourent et la croissance des banques grâce à cette opération. Et en particulier avec la Banque de France, qui finance son réescompte, le fait d’escompter des effets déjà escomptés par les banques, par l’émission de billets de banque. Ce développement ne s’est pas fait sans crise. Deux crises ont joué un rôle important : la crise de 1830 et celle de 1848. Des crises économiques et politiques. Que se passe-t-il ? Le commerce s’arrête, les effets de commerce ne sont pas créés, l’activité économique arrive à un blocage. Pour relancer l’économie, pour relancer le commerce, le gouvernement appuie la relance du crédit, et pour cela, il contribue avec les collectivités locales et de grands capitalistes à créer des comptoirs d’escompte. Ceux de 1830 ont presque tous disparu, mais après 1848, certains comptoirs d’escompte ont continué comme banque, notamment le comptoir d’escompte de Mulhouse ou celui de Paris. Progressivement s’est instauré un nouveau modèle bancaire. Un modèle dans lequel du côté des ressource on avait des dépôts, donc des ressources très liquides, et du côté des emplois, on avait des escomptes, c’est-à-dire également des emplois très liquides. C’est ce modèle de la banque qui s’impose peu à peu en France à la veille de la guerre de 1914.
Apogée et déclin de l’escompte au XXe siècle
Début XXe siècle, les grandes banques françaises emploient des dizaines de milliers de personnes pour encaisser les effets de commerce au domicile des entreprises, pour gérer ces effets, les classer dans des portefeuilles. On disait que l’escompte était le pain de la banque. Et le plus étrange est à venir. Avec la guerre de 1914, la guerre de 1939, la crise des années 30, l’économie entre en crise, en crise de financement. La bourse ne fonctionne plus, ou presque. Il n’y a plus d’épargne pour investir. Alors, l’Etat va chercher un nouveau moyen de financer l’économie. Et ce moyen, c’est l’escompte. L’escompte qui est un moyen de crédit à court terme, va être modifié pour servir à financer des crédits à la campagne, l’investissement industriel, l’outillage des entreprises, les exportations et même le logement. Ce gonflement extraordinaire de l’escompte donne un grand pouvoir aux banques. Elles finissent par financer toute l’économie française. Mais le système a des défauts, deux principaux : le principal, c’est que c’est inflationniste. Ce financement par l’escompte provoque une alimentation monétaire qui crée de l’inflation et il dilue la responsabilité des capitalistes dans les entreprises. Alors l’Etat va essayer d’introduire plus de concurrence. Il pousse les banques à financer directement les entreprises, à reconsidérer le financement par l’escompte. Pour cela, il va encourager la fusion des banques.
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