L’histoire de la Banque de Paris et des Pays-Bas dans les pays baltes : un rendez-vous manqué (1/2)

Temps de lecture : 18min Nombre de likes : 1 likes Mise à jour le : 23 Oct 2023
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La France entame un pivot vers l’Est européen au début des années 1920 : les pays d’Europe centrale et orientale sont considérés comme un nouvel Eldorado pour les entreprises françaises, et l’Etat cherche à consolider leur statut de nouveaux alliés. La Banque de Paris et des Pays-Bas joue évidemment un rôle de premier plan dans ce projet. Mais les trois Etats baltes, Lituanie, Lettonie et Estonie, situés en marge de cet espace, se retrouvent également en marge des intérêts français et de la banque. Pourquoi ?

La politique française et la banque de Paris et des Pays-Bas

Ce tournant oriental de la politique française trouve ses racines dans la Première Guerre mondiale et sa conclusion. L’Est européen sort transformer du premier conflit mondial : de nouveaux Etats apparaissent sur les ruines des grands empires. Le démantèlement de l’Empire allemand, de l’Autriche-Hongrie et de l’Empire russe à l’issue de la conflagration européenne bouleverse profondément les frontières européennes. C’est de ce bouleversement que naissent des pays comme la Tchécoslovaquie, la Pologne et les trois Etats baltes. D’autres, comme la Roumanie ou la Serbie, étendent leurs frontières par des annexions.

La France entreprend immédiatement de se rapprocher de ces Etats neufs. Elle cherche ainsi à contrebalancer l’influence que l’Allemagne et l’Autriche détenaient dans la région et que ces deux pays continuent à exercer après la guerre. Une mission militaire française est ainsi déployée en Pologne. Dans ce pays, les officiers français jouent un rôle important dans la défaite de l’armée rouge devant Varsovie en 1920, contribuant à préserver l’indépendance polonaise et consolidant l’alliance franco-polonaise.

Pour la Banque de Paris et des Pays-Bas (Paribas), qui sort de la guerre affaiblie, à l’instar de l’ensemble des banques françaises, ce pivot vers l’Europe orientale apparaît comme essentiel. Les économies est-européennes sont débarrassées des entreprises et banques austro-allemandes qui y détenaient une position dominante. L’Europe de l’Est devient un véritable Eldorado, propre à revitaliser Paribas au sortir de cette période difficile. Et l’impulsion de cette politique ambitieuse provient de la tête même de la banque.

L’expansion de Paribas en Europe orientale

La banque doit en effet cette orientation à Horace Finaly, directeur général de Paribas. Cet homme énergique, intellectuel et ami de Proust, en est le principal maître d’œuvre. Il compte pour représenter Paribas dans la région sur des hommes dynamiques, anciens militaires, sélectionnés pour leur connaissance préalable de la région. En Roumanie, Ernest Mercier, qui a servi pendant la Première Guerre mondiale dans le pays, pilote la politique de la banque. En Pologne, c’est Jean Gallaud, ancien attaché militaire de l’ambassade de France à Saint-Pétersbourg, qui représente Paribas à Varsovie.

Paribas projette donc également son influence dans cet espace, en symbiose avec les visées de la France. Le cas de la Roumanie est paradigmatique de cette synergie et de l’implantation de Paribas en Europe orientale : Paribas est la première banque française à investir dans le secteur du pétrole roumain après la guerre, et prend le contrôle de la Steava romana, la plus importante entreprise pétrolière de Roumanie. Elle y joue un rôle de fer de lance pour les projets français, ouvrant la voie aux investissements français dans le secteur pétrolier : en dix ans, 250 millions de francs y sont investis, aidant la France à sécuriser un secteur stratégique.

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Horace Finaly, Archives historiques BNP Paribas

 La banque multiplie les investissements dans cette région : en Pologne, un ambitieux projet de concentration verticale de la chaîne de production de papier est ainsi mis en place dès 1920. Ces projets voient la banque faire cause commune avec de grands groupes industriels français pour mieux projeter sa puissance : dans le cas du projet polonais, Paribas fait cause commune avec le groupe Hachette, et dans les puits de pétrole roumains la banque reçoit l’aide du métallurgiste Champin et du groupe Mercier, spécialisé dans l’électricité.

 Dans le domaine bancaire également, la banque se montre évidemment extrêmement active : en Autriche en 1919, Paribas prend le contrôle de l’importante Länderbank de Vienne, tandis qu’elle devient actionnaire en Roumanie de la Banca de credit roman en 1920 et qu’elle fonde la même année en Pologne la Banque franco-polonaise. Cette politique bancaire ambitieuse donne les moyens à Paribas de mener à bien ses projets dans la région, en bénéficiant des clients et de la trésorerie de ces banques.

Les Pays Baltes

La Lituanie, la Lettonie et l’Estonie sont des Etats neufs, nés après la fin de la Première Guerre mondiale. Ils ont dû traverser une guerre d’indépendance complexe, avec de multiples participants, pour s’affirmer en tant qu’entités indépendantes reconnues et légitimes. Entre 1917 et 1920, les gouvernements baltes affrontent tour à tour des Freikorps venus d’Allemagne, des Russes blancs opposés à l’indépendance balte, l’armée polonaise qui cherche à étendre les frontières de la Pologne et l’Armée rouge, qui veut transformer les trois pays en républiques soviétiques

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Les Etats baltes et la région de la mer Baltique en 1930. Wikimedia Commons.

Le soutien des pays de l’Entente joue un rôle décisif dans la victoire finale des Etats baltes. La France, et surtout la Grande-Bretagne, fournissent en effet un soutien diplomatique et militaire à ces jeunes pays. Ces deux pays déploient une escadre de navires de guerre au large des côtes baltes en 1919, envoient des missions militaires dans la région, réalisent des livraisons d’armes et usent de leur influence diplomatique sur leurs alliés russes blancs et sur l’Allemagne vaincue afin de tirer de situations difficiles à plusieurs reprises les armées baltes.

Les économies baltes sortent ruinées de cette succession de conflits et d’occupations. Les grands centres industriels de l’Empire russe qu’étaient Riga et Tallinn se sont vidés de leurs ouvriers, évacués en Russie avec leurs usines pendant la guerre, morts dans les combats ou les épidémies, condamnés au chômage ou réfugiés à la campagne. L’appareil industriel est démantelé : les usines et les infrastructures sont dévastées par les combats, ou ont été transférées en Russie par l’armée russe en retraite. C’est dans ce contexte catastrophique que les nouveaux Etats de l’espace baltique font appels à des investissements extérieurs pour rebâtir leurs économies.

« Partout des ruines, des bâtiments vides, souvent même quatre murs calcinés, plus de machines dans les usines ; beaucoup d’ouvriers spécialiste sont en Russie soviétique ou disparus ; plus de chevaux plus de bétail, plus d’outils dans les fermes ; des moyens de transport très précaires ; comme combustible uniquement du bois et de la tourbe. » Lieutenant-Colonel Duparquet, chef de la mission militaire française en Lettonie, dans un rapport du 5 février 1920

Le commerce extérieur

La France ne parvient cependant pas à prendre pied dans les trois Etats baltes après la guerre.  Paribas ne s’engage pas, même si les archives du Groupe BNP Paribas témoignent d’un intérêt continu de la banque pour la région : elles contiennent une nombreuse documentation concernant la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie au lendemain de leurs jeunes indépendances. Ces documents viennent d’une variété de sources : certains sont des articles extraits de journaux, tandis que d’autres sont des notes et des publications de l’Office commercial français pour la Russie et les pays limitrophes (dépendant du gouvernement), ou des rapports écrits par des personnes ayant visité ces pays.  

Ces documents sont unanimes dans leur constat : les Allemands et les Britanniques avancent leurs pions dans l’espace baltique, tandis que les Français restent incapables de les concurrencer. Pourtant, une infrastructure française embryonnaire existe : des officiers français, membres des missions militaires, sont par exemple présents dans la région, et ils adoptent ensuite la nouvelle casquette de représentants de l’Office commercial français. Ces officiers, comme le colonel Reboul en Lituanie et le lieutenant Deloque-Fourcaud en Lettonie, défendent activement les intérêts des commerçants et entreprises françaises. Il se trouve donc sur place un corps de représentants des intérêts français, similaire aux représentants de banques qui existent dans les autres pays d’Europe orientale : mais Paribas ne se saisit pourtant pas de ces possibilités.

Joseph Noulens, ambassadeur de France en Pologne et en Russie, note ainsi dans une lettre du 5 août 1920 : « Nous aurons à faire preuve d’activité et de décision si nous ne voulons pas être entièrement supplantés sur les bords de la Baltique. » Malgré les efforts des représentants de l’Office commercial, ni Paribas, ni les autres banques et entreprises françaises ne se saisissent des occasions disponibles.

Les actions anglaises

Les rivaux de la France dans la Baltique, eux, ne manquent pas de saisir l’occasion. La Grande-Bretagne et l’Allemagne, particulièrement, sont à la manœuvre, s’emparent des marchés baltes, inondent la région de leurs produits et deviennent les destinations privilégiées pour les exportations baltes. Cette situation ne passe évidemment pas inaperçue pour les informateurs de Paribas dans la région. Déjà le 12 février 1920, dix jours après que la paix de Tartu a été signée entre la Russie soviétique et l’Estonie, un commerçant français à la recherche de partenaires, Monsieur Jouan, se lamente dans une lettre de l’absence d’activité française dans le pays tout juste indépendant, et surtout de la « très dure rivalité » des commerçants anglais, danois, suédois, hollandais et allemands. Tous ont pris de l’avance par rapport à la France.

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Production de lin par une paysanne lituanienne en 1920. Dans l’entre-deux-guerres, c’est encore de cette manière artisanale que le lin était produit dans les Etats baltes. Library of Congress/American National Red Cross.

Les entrepreneurs anglais tirent particulièrement leur épingle du jeu. Avançant leurs pions, un consortium d’investisseurs anglais parvient à contrôler le commerce de certains produits stratégiques de Lettonie. Ces investisseurs britanniques passent par un intermédiaire établi dans ce but, la National Metal & Chemical Bank, dirigée par un homme d’affaire anglais du nom de Fortington, pour signer une série d’accords avec le gouvernement letton. Une banque d’Etat de Lettonie est établie, avec le financement de la Chemical. Un contrat de bois livre l’exploitation des forêts lettones à la banque : celle-ci obtient le droit de couper, scier et exporter de Lettonie 100 000 standards de bois par an pendant quinze ans, à des prix fixes. Enfin, un troisième contrat concernant la production du monopole d’Etat des lins de Lettonie garantit la livraison de la totalité de la production de lins de Lettonie à la Metal & Chemical Bank. Le groupe de Fortington accapare ainsi deux des principaux secteurs de Lettonie, en plus de contrôler la Banque d’Etat du pays.

Les efforts vains menés par la France et Paribas afin de contrecarrer ce plan britannique de monopolisation du marché letton sont typiques de l’incapacité française à agir dans la région. Un tourbillon de papier résulte des échanges entre le Ministère des affaires étrangères de France, le consulat français à Riga, et les partenaires financiers envisagés. Cette agitation est menée par Joseph Noulens en personne, spécialiste des affaires russes au Quai d’Orsay : il vise à mettre en contact un groupe de banques françaises (parmi lesquelles Paribas) avec la National City Bank de New York afin de faire une contre-offre au gouvernement letton. Mais le projet n’aboutit jamais : la banque américaine se désiste, et la tentative finit par avorter.

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