Paribas en Europe centrale dans l’entre-deux-guerres

Mise à jour le : 12 Fév 2025
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Carte des partitions de la Pologne, entre la Prusse, l'Autriche, et la Russie.
Une carte des partitions de la Pologne, entre la Prusse, l'Autriche, et la Russie (1918). Bibliothèque du Congrès, Great Britain, Foreign Office & War Office.

Au sortir de la Première Guerre mondiale, la France s’inquiète de l’emprise que ses ennemis lors du conflit, l’Allemagne et l’Autriche, ont encore sur l’économie de la Pologne et des autres nouveaux Etats d’Europe centrale et orientale. Le gouvernement français va trouver un allié de poids dans la Banque de Paris et des Pays-Bas (Paribas). Son directeur général, Horace Finaly, via un représentant sur place, le commandant Jean Gallaud, entame alors une politique ambitieuse en Pologne. La correspondance échangée entre Gallaud et la direction parisienne de Paribas entre décembre 1919 et juillet 1924, conservée dans les archives de BNP Paribas, permet de suivre presque pas à pas la mise en place de cette politique.

La France, la Pologne, et la Banque de Paris et des Pays-Bas

Le gouvernement français encourage les entreprises et banques françaises à s’implanter dans la région, afin de capturer ces nouveaux marchés et de consolider l’influence politique et économique française.

La Banque de Paris et des Pays-Bas est ainsi directement encouragée dans ses projets par Joseph Noulens, le premier ambassadeur de France en Pologne en 1919-1920. Et le représentant de Paribas incarne particulièrement cette symbiose de l’Etat et des intérêts privés français. Capitaine de Vaisseau, militaire de carrière, avec plusieurs années d’expérience en Russie, le commandant Gallaud quitte Prague le 30 décembre 1919 pour se rendre à Varsovie.

C’est le début d’un séjour de plusieurs années à Varsovie pour Gallaud. Il arrive en Pologne non seulement en tant que représentant de Paribas, mais également en mission officielle de renseignement pour le Ministère de la Marine.  Il s’entoure d’officiers, des membres de la mission militaire française qui conseille et forme l’armée polonaise. Il reçoit même l’autorisation de faire transiter le courrier de la banque par la poste militaire, plus sûre et rapide dans le chaos de la Pologne de l’après-guerre.

Gallaud entretien en effet une abondante correspondance avec le directeur général de Paribas, Horace Finaly, et son directeur adjoint Couture. Les échanges de Gallaud avec Finaly illustrent la forte implication de celui-ci dans le projet. Ici comme ailleurs, le directeur général, visionnaire et énergique, imprime sa marque. En effet, la banque sort de la guerre mondiale exsangue, et Finaly décide de rechercher de nouveaux débouchés en Europe orientale. La stratégie impulsée par le directeur général coïncide donc en tout point avec la stratégie française.

Dans cette perspective, l’implantation de Paribas en Pologne est cruciale. Ces efforts porteront leurs fruits pour le bénéfice réciproque des deux nations. En effet, dans l’entre-deux-guerres, la Pologne devient une destination majeure des capitaux français à l’étranger. Elle en concentre à elle seule 10%, ce qui fait de la France la principale source de capitaux étrangers en Pologne.

Le chaos polonais

Gallaud doit cependant affronter de nombreux obstacles dans le développement des activités de Paribas en Pologne. Il décrit dans ses lettres le chaos dans lequel est alors plongé le pays. La réunification du pays, divisé jusqu’au conflit mondial en trois parties – russe, autrichienne et allemande, est difficile à réaliser. L’envoyé de Paribas n’hésite pas à affirmer que « jusqu’à maintenant, l’unité de la Pologne est un vain mot ». Le pays fait face à des fractures politiques importantes, entraînant des changements de gouvernement fréquents et une lenteur systématique dans la prise de décisions.

Le pays est de plus dans un état de mobilisation total provoqué par la guerre soviéto-polonaise. Un million et demi d’hommes et de femmes sont appelés sous les drapeaux, et les réquisitions paralysent l’économie polonaise. Le commandant Gallaud en fait d’ailleurs l’expérience personnelle : son appartement est réquisitionné et attribué à trois officiers polonais. Le représentant de Paribas a toutes les peines du monde à leur faire quitter les lieux. Le pays fait aussi face à d’importantes vagues de grèves successives, réactions à une inflation galopante. Ainsi, si un franc français valait 197 marks polonais en août 1921, en septembre le change atteignait déjà 400 marks polonais pour un franc.

Un potentiel économique réel mais entravé

La désorganisation générale de l’économie et de la société polonaise se reflète également dans le domaine bancaire et administratif, bridant les exportations et le potentiel économique de la Pologne. Ce potentiel est pourtant identifié comme important par Gallaud. Le pays est en effet riche de ressources et d’activités. La Pologne du Congrès, autour de Varsovie, était une des régions les plus industrialisées de l’Empire russe, la Silésie allemande concentrait de nombreux charbonnages et une industrie métallurgique développée, la ville de Lodz était un important centre de l’industrie textile, l’ancienne Galicie autrichienne produisait du pétrole, et l’ensemble de la Pologne concentrait une centaine d’usines de sucre, faisant du pays un de principaux producteurs de sucre d’Europe.

Mais le pays est exsangue après des années de guerre. La remise en marche de l’économie polonaise nécessite d’importants efforts. Navigant à vue dans une situation économique et militaire difficile, le Capitaine de Vaisseau parvient cependant à guider l’action de la banque dans ces eaux troubles, et pose les bases de son action à grande échelle en Pologne.

Un projet ambitieux

Une affaire occupe particulièrement le temps du représentant de Paribas : un projet de concentration verticale de la production de papier. Il est question, à partir du port de Danzig, du transport par voie fluviale du bois coupé jusqu’au transport par voie maritime de la cellulose de bois à destination de la France. Gallaud est la cheville ouvrière de la mise en place de cette affaire. Il est au centre des premiers plans d’investissement de Paribas en Pologne dans l’immédiat après-guerre.

A peine arrivé à Varsovie, le commandant reçoit en janvier 1920 une lettre de Finaly, dans laquelle celui-ci insiste sur l’importance de la constitution de la Compagnie franco-polonaise de navigation. Finaly la qualifie de « point de départ d’un mouvement commercial entre la France et la Pologne ». Cette compagnie maritime, formée en association avec la société de navigation Worms & Cie, est le dernier maillon de la chaîne forgée par Paribas en Pologne. Deux autres entreprises composent cet ambitieux projet.

Le projet prend son envol avec le redémarrage de l’économie polonaise après la signature du traité de Riga le 18 mars 1921. Cela met un terme au conflit entre la Pologne et les bolchéviques.

Rien qu’entre avril et juin, les transports de marchandises à destination du port de Danzig doublent. Et la signature de l’Alliance franco-polonaise en février 1921 encourage encore le développement des relations économiques entre les deux nations.

Au moment de quitter ses fonctions de représentant de Paribas en Pologne en 1924, le commandant Gallaud se montre très optimiste pour l’avenir de l’entreprise, en particulier de la Fluviale (autre nom de la Żegluga). Déjà, en mars 1921, il avait acheté 40 000 m2 de terrain pour y faire construire des entrepôts à Danzig. Les entrepôts déjà loués par la compagnie ne suffisaient plus à faire face à l’augmentation de l’activité de transport de l’entreprise.

Cette ambitieuse tentative connaîtra cependant une fin malheureuse après le départ de Gallaud. En 1927-1928, la Société de Navigation fut placée en liquidation. Mais Gallaud aura joué un rôle pionnier par son travail pour assurer l’implantation de Paribas en Pologne au sortir du premier conflit mondial. Il a ouvert la voie aux investissements de Paribas dans le secteur des banques et de la finance. Parmi ceux-ci, la création de la Banque franco-polonaise en 1919, du transport ferroviaire et de l’électricité (secteur traditionnel d’investissement de Paribas) avec la ligne EKD lancée en 1927, la première ligne ferroviaire électrifiée de Pologne, ou les pétroles de Galicie.

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